Épisode 12
« David, vous avez coupé la tête à Goliath ! » suite (1866-1878)

Pendant quatre années le Père Timon va tout essayer mais en vain ! Il rencontre l’évêque inutilement ! il écrit des mémoires et des courriers à l’évêque ; bien souvent pas de réponse ou des courriers brefs et secs ! Aussi ne pouvant sauver sa communauté avec son évêque, le Père Timon se décider à la sauver sans lui ! Le 19 Mars 1870 le Père Timon envoie un dossier au Cardinal Pitra à Rome ; le cardinal, qui était venu visiter l’œuvre et qui l’appréciait, remet le dossier au Pape en mains propres ; le Pape le remet, aux services compétents ! Coup de théâtre, le dossier disparaît ! Introuvable ! Or quelques temps plus tard, le Père Timon se rend compte que Monseigneur Place sait très bien ce qui est écrit dans ce dossier introuvable ! Et Monseigneur Place accuse le Père Timon de l’avoir calomnié à Rome, ce qui est faux ! Le Père Timon est profondément blessé de tout cela ! Ce qui complique aussi l’affaire est le fait que le Concile Vatican I a été convoqué. On y traite en particulier de l’infaillibilité pontificale. Monseigneur Place fait partie de la minorité des évêques qui y sont opposés. Il n’a donc pas trop la côte à Rome ! Le clergé de Marseille est dans son immense majorité favorable et écrit même un texte de soutien à Rome. Le Père Timon, est bien évidemment favorable à l’infaillibilité pontificale.

En 1871 il refait le dossier et l’envoie à Rome par l’intermédiaire du Père Freyd, supérieur du Séminaire français ; ce dernier le confie à Monseigneur Mercurelli qui a « la confiance absolu du Pape » et c’est ainsi que le dossier, non seulement ne sera plus perdu mais étudié, et que quelques années plus tard, l’affaire connaîtra une issue favorable, mais à travers ,encore, de nombreuses péripéties, Monseigneur ne faisant que se braquer et s’obstinant à ne pas entrer dans les vues mêmes de Rome sur l’œuvre du Père Timon.

Pour éviter de donner tort publiquement à Monseigneur Place, le Pape écrit en Juillet 1873 une lettre au Comité de défense catholique que le Père Timon avait fortement contribué à faire naître à Marseille pour défendre les intérêts catholiques de Marseille. Le Pape félicite les membres de ce Comité d’appuyer le chanoine Timon-David dans la gestion de son Œuvre. Il souhaite que cette œuvre se développe et puisse former ses prêtres et il invite l’évêque à entourer le fondateur et son Œuvre de toutes ses faveurs et de toute son aide. Monseigneur fait la sourde oreille. Le conflit continue ! Finalement après bien des péripéties, le 10 Septembre 1874, le Pape Pie IX accorde officiellement aux membres de la communauté de vivre en commun, de former des novices et de les présenter au sacerdoce. Le 8 Juillet 1876 il signe le décret d’approbation de la Congrégation du Sacré-Cœur de Jésus-Enfant. Il envoie l’original à l’évêque et une copie authentique au Père Timon. Monseigneur Place ne communiquera jamais le texte au Père Timon. En approuvant également ses Constitutions, le Pape fait de cette petite communauté religieuse une Congrégation de Droit Pontifical ; elle ne dépend plus de l’évêque de Marseille mais du Pape ! Le 8 Décembre 1876 le Père Timon est élu par ses frères Supérieur Général de la Congrégation du Sacré-Cœur de Jésus-Enfant.

En Janvier 1877 le Père Timon va à Rome remercier le Pape. La rencontre a lieu le 13 Janvier. Laissons le Père raconter lui-même cette rencontre inoubliable . « J’entre, mais je m’étais à peine prosterné aux pieds sacrés du Pape, qu’avec sa grosse bonne voix le Pape s’écrie :

  • Eh bien, David ! Vous avez coupé la tête à Goliath. Je restais interdit de tant de franchise et d’abandon. Il riait à gorge déployée, le rire me gagne moi-même.
  • Mais Saint-Père, lui dis-je, je n’ai coupé la tête à personne !
  • Si, si, vous avez coupé la tête à Goliath.
  • Mais ce n’est pas moi, c’est votre Sainteté.
  • Non, non, c’est vous qui lui avez coupé la tête. Et le Pape, renversé sur son fauteuil, riait de plus belle ».

Un an plus tard Pie IX mourait. Telle était l’issue officielle de tant d’années d’épreuves et de conflits. Le Pape avait donné raison au Père Timon ; et pourtant jusqu’à son départ de Marseille pour Rennes, en 1878, Monseigneur Place ne se montrera en rien conciliant avec le Père. Obstiné, il avait été, obstiné il restait. Cela fut une occasion de grande peine pour le Père Timon. Monseigneur Place ne s’était pas fait que des amis durant son séjour à Marseille. Son départ pour Rennes mécontenta peu de monde. Mais à l’annonce de ce départ, le Père Timon prit sa plume et lui écrivit une lettre pleine de déférence et de respect. Ces années ont profondément marqué le Père Timon. Il s’était trouvé face à un homme aux grandes qualités, mais qui avait aussi les défauts de ses qualités. Le Père Timon n’avait pas été le seul à devoir affronter de telles difficultés. Peut-être que par son caractère, Monseigneur avait l’art, sans le vouloir, de créer de telles tensions. Grand seigneur, parfait homme du monde, il avait la “distinction sèche”. Sa froideur extérieure fermait les cœurs. Volontaire, il versait facilement dans l’entêtement étroit, la susceptibilité, la violence même, et dans un autoritarisme cassant. Le Père Timon, écrivant à son sujet, dit souvent qu’ il avait une main de fer, une main de glace !

Le Père Timon avait aussi son caractère ! Une épreuve de douze années qui ont laissé des traces ! Sauver, contre vents et marées, une œuvre portée à bout de bras et de tout son cœur, ne peut pas ne pas laisser des traces de fatigue, de lassitude, d’usure, mais aussi d’avancées et de progrès dans la ressemblance avec Celui que le Père Timon avait choisi d’imiter ! Certes le Père se reproche son caractère ardent et sa grande ténacité durant ce conflit qui dura plus de 10 ans. Mais en même temps le témoignage de personnes qui ont vu le Père vivre tous ces évènements atteste que, bien loin d’être un calomniateur et une mauvaise langue, comme disait l’évêque, le Père fait tout pour de ne pas briser ses liens avec son évêque, espère une entente et même une réconciliation ; il excuse son évêque avec grande charité, il le juge en bien dès qu’il le peut, il continue, quoi qu’il en coûte, à se conduire à son égard comme l’on doit se conduire à l’égard de son évêque ! au milieu de toutes ses épreuves l’esprit de foi domine en lui ; tout est pour lui instrument de la divine Providence. « Nul ne vous regrettera plus que moi, et parce que vous étiez depuis longtemps mon Evêque, et parce que vous avez été l’instrument des desseins de Dieu sur moi, et surtout parce que en vous perdant, je perds l’espoir auquel je n’avais jamais renoncé de reconquérir enfin votre affection », tel est le cœur de la dernière lettre du Père à son évêque ! Comme nous venons de le voir longuement, pendant ces années qui doivent lui avoir paru bien longues, le Père a dû souffrir et tenir avec foi et constance. Mais dès le début de cette époque une autre affaire a été pour lui un grand motif de tristesse. De 1866 à 1868 le Père est affronté à ce que lui-même appellera « l’affaire Nègre ». Pour faire bref, le Père a été victime de 3 membres de l’œuvre qu’il avait beaucoup aidés. Il va se retrouver devant les tribunaux. C’est une affaire à rebondissement, affaire de calomnie : dénonciation à l’évêque, dénonciation au Ministère des Cultes où le Père est présenté comme un “exploiteur” hostile au gouvernement impérial, procès en correctionnelle, procès en diffamation, faux témoignages. Rien ne lui est épargné. De ces épreuves venant de ses enfants, le Père sort blanchi, grandi ! Tout est à son honneur ! L’un des accusateurs qui avoua avoir vendu le Père pour 40 francs, touché par le pardon accordé par le Père, lui écrira bien plus tard, en 1875 : « Eu égard à ma conduite envers vous, votre dévouement pour moi, c’est de l’héroïsme. »

Tout cela avait provoqué des enquêtes sur le Père.

« J’ai reçu sur votre compte, de la part de Monseigneur et d’autres personnes les plus beaux éloges que l’on puisse faire d’un prêtre aussi dévoué que vous » lui écrit le Préfet Levert, et le Père ajoute lui-même :

« Monsieur Levert m’assura plus tard que, de l’enquête qu’il avait faite, il était résulté le plus beau dossier qu’aucun prêtre n’eût à Paris au Ministère. Je faillis alors en devenir évêque, si je m’y fusse un peu prêté ».

Mais il ne s’y est pas prêté à cause de sa consécration à le jeunesse ouvrière. Plusieurs fois le Père sera proposé aux dignités ecclésiastiques et surtout à l’épiscopat. Sa réponse sera toujours la même, ancrée dans son vœu de servitude à la jeunesse ouvrière prononcé le lendemain de son ordination.

Durant toute cette période la vie continuait. L’œuvre prospérait. L’apothéose en sera les célébrations du 25° anniversaire de sa fondation en 1872. L’année précédente le Père avait fêté ses 25 ans de sacerdoce. Tout est motif d’action de grâce. La renommée du Père ne fait que s’accroître. Les relations extérieures et les visites s’amplifient. On vient voir ce qu’il fait ; on prend conseil ! Ses écrits le font connaître ! De nouveaux écrits paraissent !

En 1876 le Père publie la deuxième édition de la « Méthode », enrichie par tout ce que l’école, ouverte en 1864, apporte au travail de l‘Œuvre. En 1873 avaient paru « Les Souvenirs de l’œuvre ». Le Père met par écrit la vie de certains membres de l’œuvre décédés. Leur vie, la fin de leur vie manifestent par les faits le bien fondé de la Méthode d’éducation du Père. Les membres de l’œuvre pourront prendre pour modèles certains de leurs prédécesseurs. C’est aussi de la part du Père l’éloge de la sainteté réelle de certains jeunes. Oui, la sainteté est possible quand on est jeune !

Le 12 Juin 1876 l’abbé Jean-Baptiste Fouque, fils spirituel du Père, célèbre sa première messe à l’œuvre. Le Père l’aurait bien voulu dans sa communauté. Dieu avait d’autres projets ! Prêtre du diocèse de Marseille, Jean-Baptiste sera un confesseur remarquable et un fondateur d’œuvres pour toutes les misères, remarqué. Il sera surnommé le “Saint Vincent de Paul marseillais”. Au début du XXI° siècle son procès de béatification est en cours à Rome en même temps que celui de son Père spirituel !

Nous voici arrivés au terme d’une période bien dure pour le Père Timon, mais une période essentielle pour toute l’histoire timonienne. Il a fallu l’incompréhension de son évêque pour que le Père Timon ose demander la reconnaissance du Pape. Cette reconnaissance permettra à la Congrégation et à ses œuvres de traverser bien des difficultés futures dont le Père Timon n’avait même pas idée. Nous pouvons faire nôtres les propos du Père :

« Notre bon Maître semble avoir pris notre Œuvre sous sa garde spéciale, comme nous le redit sans cesse la belle phrase en lettres d’or autour de notre sanctuaire :

“J’ai sanctifié cette maison, et mes yeux et mon Cœur y demeureront à jamais” » .

à suivre