Épisode 13
« Paix relative et rayonnement » (1878-1885)

Des années très difficiles et douloureuses viennent d’être traversées par le Père Timon. La période qui s’ouvre est toute nouvelle, plus paisible. Le Pape Pie IX meurt ; un nouveau Pape, Léon XIII a la charge de l’Eglise ; un nouvel évêque est arrivé à Marseille ; Monseigneur Robert est nommé en 1878. Homme d’une grande piété envers le Sacré-Cœur il sera en pleine communion de pensée avec le Père Timon David en particulier sur un point précis, la place de la confirmation à célébrer avant la communion. D’après les écrits du Père il est clair que les rapports avec son Mgr Robert ont toujours été excellents. « Mon évêque est toujours meilleur pour moi, nous sommes vraiment bien bons amis…Il est bon, obligeant, facile au possible, le contre-pied absolu de Mgr Place ». Les craintes et les difficultés vont venir du monde politique. Le courant politique républicain antireligieux s’affirme de plus en plus et se poursuivra jusqu’à la mort du Père et bien au delà. La laïcisation des institutions est programmée ; est imposé l’enseignement primaire gratuit, obligatoire et laïc. Par décret ministériel du 29 Mars 1880 les congrégations religieuses masculines sont interdites sauf si elles demandent l’autorisation légale. Avec les autres congrégations le Père Timon refuse de faire cette demande au risque de voir l’œuvre fermée. Il va se démener pour trouver des parades à cette persécution ; il va aussi avoir recours à l’offensive de la prière de tous, communauté et œuvres. Durant ce temps-là, la communauté prend forme et le Père essaie de lui donner des assises solides de Congrégation religieuse. En 1879 et 1880 trois religieux sont ordonnés prêtres, les Pères Zoccola, Chabert et Brémond qui, malade déjà, mourra le 1° Décembre 1880 à l’âge de 36 ans. Le Père Timon a le souci de la qualité de la formation des religieux. Il envisage d’ouvrir une maison à Rome pour les religieux étudiants ; cela ne se conclut pas ! Il envisage d’installer le noviciat dans sa propriété du Vaucluse ; l’évêque d’Avignon s’y oppose ! Pour bien former les novices, il faut un bon maître des novices bien formé ; le Père se tourne vers les Jésuites dans l’espoir que l’un d’eux pourra venir aider ! L’affaire ne se conclut pas et puis, en 1880, les Jésuites sont les premiers à subir les persécutions de la République ! Faute d’aide extérieure le Père Timon va lui-même organiser ce que lui-même appellera un « vrai noviciat » ; il en écrit par le détail le déroulement et le contenu. Ce « vrai noviciat » commencera en Septembre 1881 à la Viste, puis en 1882 sera transféré à Aix, avec les Frères Négrel et Arnoux, bientôt rejoint par Monsieur Joseph Martin, sujet d’élite, qui avait fondé une œuvre à Béziers. Aix… Béziers…. ! Des liens s’étaient tissés depuis quelques années entre le Père Timon-David et les fondateurs de ces deux œuvres, Monsieur Bry à Aix et Monsieur Martin à Béziers. Les liens seront de plus en plus forts, les évêques des deux lieux pousseront à ce que la communauté timonienne prenne la responsabilité de ces maisons. Deux évènements favoriseront cela : Monsieur Bry, en 1883 se marie ; dès le 3 Juillet le Père nomme le Père Cayol, directeur de l’œuvre ; Monsieur Martin entre au noviciat en 1881 et en 1885 la maison qu’il a fondée sera timonienne.

L’œuvre, à Marseille, de son côté continue à vivre et à se développer malgré les risques encourus par l’évolution politique de la société. Mais elle est puissamment ancrée dans ce qui fait sa force : la vie surnaturelle puisée au Cœur de Jésus. Les difficultés extérieures fortifient la vie interne et cela donnera l’occasion au Père Timon, pour le 38° anniversaire du commencement de son apostolat, de donner la plus belle définition de « l’Oeuvre » qu’il ait écrite : « L’œuvre c’est le Cœœur de Notre Seigneur Jésus-Christ, c’est le lieu où on apprend à l’aimer et le servir. Que dis-je le lieu ? La Révolution pourrait briser ses portes, la mettre sous les scellés : elle n’en subsisterait pas moins en tout endroit où quelques congréganistes pourraient se réunir, fût-ce sur la place publique, sur les grandes routes, dans quelque nouvelle catacombe, pour aimer et servir le Sacré Cœur de Notre Seigneur ». Le 31 Octobre 1878 le Père Timon porte à Notre Dame de la Garde une clef de vermeil pour remplacer celle déposée le 31 Octobre 1847, veille de l’ouverture de l’œuvre, car « la Sainte Vierge seule peut mieux garder la maison que toute l’habilité des hommes ». Le Père se dévoue au service de ses enfants, corps et âme, mais ses enfants savent lui en être reconnaissants. Le 30 avril 1882, pour la Fête du Patronage, sur scène est dévoilée le buste du Père ; les jeunes le couronne puis se tourne vers le Père lui-même et le comble de couronnes. Les cœurs sont pleines de reconnaissance, celui du Père de joie et d’action de grâce. Quatre vers sont placés sous le buste, qui à eux seuls suffisent pour exprimer les sentiments des jeunes pour leur Père :

  • Un artiste a bien pu, manipulant l’argile
  • Reproduire vos traits, Ô Père vénéré !
  • Mais nous le défions, encor qu’il soit habile
  • D’exprimer les vertus dont vous êtes paré !

Le Père avait de nombreuses connaissances à travers toutes la France ; il était souvent appelé à prêcher, à présenter son œuvre et sa Méthode. Son « aura » continue, s’amplifie malgré le poids des ans qui commence à se faire sentir. Outre sa nombreuse correspondance, on peut retenir comme faits marquants ses relations avec certaines personnes. Depuis 1879, Monsieur Saintpierre de Montpellier était venu, avec Monsieur Joseph Martin ; à l’Oeuvre ; ils y étaient restés une semaine « pour étudier l’œuvre qu’ils connaissaient beaucoup par les ouvrages du Père ». Monsieur Saintpierre avait fondé un patronage à Montpellier et tenait à ce qu’il soit dirigé selon les principes de la Méthode du Père. De très nombreux liens existeront du vivant du Père Timon, mais ce n’est qu’en 1899 que la direction de cette œuvre sera prise par les timoniens. Un autre disciple inconditionnel du Père vivait à Genève, l’abbé Chavaz. Il y avait fondé en 1873 l’œuvre des Paquis. Son évêque était Mgr Marmillod, ami du Père Timon depuis Fribourg. Les liens se créent donc sans difficultés et dureront très longtemps. Le Père va aussi avoir des relations avec un prêtre de Lozère, l’abbé Chapelle, envoyé d’abord se former auprès du Père à Marseille par son évêque qui était lui-même venu en 1882 voir l’œuvre de Marseille ; l’abbé va semer dans son diocèse des œuvres de partout où il passe ; c’était la volonté de son évêque qui écrivait, « qui sait si nous ne pourrons pas réaliser le projet qui ferait de Mende un petit Marseille ? » L’abbé Chapelle enverrra certains jeunes au noviciat, lui-même y avait songé. Beaucoup ne resteront pas, quelques unités persévèreront.

Le Père avait beaucoup écrit. Il continue. Certains des ses écrits sont des relectures des évènements passés, des évènements fondateurs. Les uns le concernent personnellement ainsi que sa famille : « Notices sur ma mère » (1881-1882), « Mes souvenirs » ( 1881-1183), écrit dans lequel, après avoir fait un bref rappel sur ses ascendants paternels, il raconte son enfance, son adolescence à Fribourg, ses études à Saint Sulpice. En 1883, il s’attelle à écrire la vie de Saint Joseph Calasanct, fondateur des Ecoles Pies, entièrement consacré à la jeunesse pauvre, vivant « dans un martyre continuel » venu surtout de ceux qui étaient faits pour être ses mais, créant une œuvre solide parce qu’enracinée profondément dans la fécondité de la souffrance. Le Père le prendra pour modèle et s’y identifiera facilement, vu les nombreuses ressemblances des parcours de leurs vies respectives.

Depuis plusieurs années le Père avait voulu écrire les « Annales » de l’œuvre : raconter ses débuts, son histoire ; en décrire ce que la constitue et en fait son originalité et son fonctionnement : l’esprit de l’œuvre, les charges, les compagnies, les associations, la communauté. 7 volumes étaient prévus. Le Père n’en écrira que 3. La raison est simple. Ecrire l’histoire de l’œuvre, c’est aussi, citer et mettre en cause certaines personnes ou institutions. Le Père a préféré arrêter son récit et ses explications.

Durant cette période il écrit deux écrits concernant la formation chrétienne. En 1881 paraît « l’étude sur la première communion ». C’est un sujet qui lui tient énormément à cœur. Cet écrit adressé à l’évêque condense toute sa pensée et son expérience sur la réforme indispensable du catéchisme pour l’adapter aux enfants du peuple. Tout cela se retrouvera dans l’édition du 3° Volume du Traité de la Confession le 19 Mars 1885. Un écrit daté du 1° Janvier 1885 mérite notre attention : « La protection du Sacré-Cœœur de Jésus sur l’œuvre ». Le Père Timon explique que l’Œœuvre a été extraordinairement protégée lors des six épidémies de choléra de 1849 à 1884, et qu’elle a été aussi remarquablement protégée en quatre autres circonstances : l’acquisition du local sans lequel elle n’aurait pu continuer d’exister en 1851-1852, la guerre et la Commune en 1870-1871, le conflit avec Mgr Place en 1876 et l’expulsion des religieux en 1880. Qui, autre que le Sacré-Cœœur, a pu éviter tous ces malheurs et protéger l’œuvre et les jeunes qui lui sont consacrés ? C’est un encouragement à persévérer dans son amour et à répondre à son amour par notre amour. « Nous sommes les enfants du Sacré-Cœœur, nés dans la ville du Sacré-Cœur, élevés dans l’Oeuvre du Sacré-Cœœur, consacrés à plusieurs reprises au Sacré-Cœœur. Nous savons les promesses faites par Notre Seigneur à ceux qui professent cette dévotion : or Dieu n’a pas pu mentir ; donc nous sommes sûrs de notre réussite dans toutes nos affaires en ce monde et de notre salut dans l’autre » disait le Père dans l’un de ses sermons à la même époque.

Le Père approche des soixante ans. Aujourd’hui, 60 ans ce n’est pas être vieux ! Au XIX° siècle c’était l’approche de la vieillesse. Le Père Timon commence d’une part à ressentir le poids des ans et d’autre part est affecté par la mort de plusieurs personnes qui lui étaient chères et parfois plus jeunes que lui. Parmi les membres de sa famille, Mademoiselle Guillaume, sa cousine de Carpentras, très grande bienfaitrice de l’œuvre, qui avait fait du Père son légataire universel meurt en 1880, son frère Félix en 1884. Le Père Jean du Sacré-Cœur son confesseur et confident depuis 32 ans meurt le 15 Décembre 1882 ; le Comte de Chambord sur lequel il misait toutes ses espérances politiques meurt en 1885, sans oublier certains jeunes que le Père accompagne jusqu’à leur dernière demeure. Une épreuve terrible frappe le Père. Il est menacé de cécité. Il risque de devenir aveugle. Epreuve terrible pour un homme actif, entreprenant, qui écrit énormément et lit tout autant. Dans le journal de l’œuvre, en novembre 1881 on peut lire ceci : « un grand malheur menace notre bon Père : la perte de ses yeux. Le gauche est déjà hors de service et une grande fatigue envahit le droit. Son énergie ne cèdera que devant la cécité complète : c’est admirable pour sa vertu personnelle, mais quelle perte ne sera-ce pas pour nous ? Il travaille toujours avec une merveilleuse activité. » Le mal ne fera que s’accentuer au fil des ans. Il prend la chose très spirituellement, dans l’abandon, aménage sa vie en conséquence et continue d’aller de l’avant. C’est avec ce risque de cécité qu’il écrit la « vie de Saint Joseph Calasanz » et plus tard celle du Père Jean du Sacré-Cœur.

Le Père continue et avance sur la voie spirituelle choisie et aimée. Ses notes de retraite ne font que manifester son désir de plaire au Cœur de Jésus, son désir d’être plus disponible à son Seigneur dans la prière et la vie d’union à Dieu. Il voit dans son risque de cécité une bonne occasion pour être libéré de ce qui le distrait du Seigneur, il s’en réjouit ! En même temps il se sent isolé, la mort du Père Jean du Sacré-Cœœur le laisse seul. Il a perdu un grand appui. « La mort du Père Jean m’a privé d’un directeur ? serait-ce pour toujours ? Votre volonté serait-elle qu’il me manque toujours pour que je n’ai que vous seul ? – dit-il à Dieu- .. Je ne suis pas un chêne, même un lierre ; il me faudrait un appui pour l’élever ».

Le 19 Mars 1885, le Père rédige son Testament spirituel qui ne sera lu qu’après son décès. Dans ce texte le Père révèle d’une part les qualités de son cœur à ses « chers enfants », ses vertus chrétiennes, son amour pour Dieu, le Cœœur de Jésus, l’Eglise, ses chers enfants et d’autre part son grand souci de l’unité, unité dans l’œuvre, unité avec le Pape et l’Eglise. « Conservez entre vous l’union la plus intime… Quand je serai mort, Dieu sera toujours vivant ; c’est Lui seul que vous devez aimer et servir, sans faire de votre docilité une question de personne. Reportez toute votre affection et votre obéissance à celui qui me succèdera ….Que les petits respectent toujours leurs anciens ; que ceux-ci soient toujours leurs bons anges et leur enseignent les voies du salut. » telles sont les dernières volontés pour l’unité de l’œuvre. Mais cette œuvre est œuvre d’Eglise. Toute sa vie le Père Timon a veillé à la qualité de l’enseignement chrétien et à la fidélité au Pape successeur de Saint Pierre. « Demeurez, comme par le passé, les enfants absolument dévoués de la Sainte Eglise de Jésus Christ. Jamais de mon vivant, une seule erreur de doctrine n’est entrée dans l’œuvre ; soyez toujours catholiques sans aucun épithète, catholiques avec le Pape et comme le Pape…. N’aimez que ce qui peut augmenter la foi et la piété dans vos cœurs.. » il confie aux membres de l’œuvre et, en particulier aux membres de la Réunion du Sacré Cœœur, le souci de garder l’originalité de l’œuvre et son but premier : « N’en faites jamais une œuvre mondaine, une œuvre de joies mondaines, de fêtes mondaines, selon la méthode de votre siècle. Ne venez ici que pour vous sanctifier, et seulement pour cela. Le reste vous donnerait plus d’éclat mais vous perdrait infailliblement ».

A présent toute l’œuvre du Père est profondément enracinée. Lui-même commence à entrevoir à travers les épreuves humaines et physiques que l’heure de la rencontre avec son Seigneur approche. Il se veut prêt et avance sur le chemin de la conformité à son Maître. Il lui reste six années à vivre. Fidèle à son vœu de servitude il mettra toutes ses forces pour servir jusqu’au bout.

à suivre