Épisode 5
Une rencontre qui fait éclore la vocation ouvrière !
(Mai 1845- Juin 1846)

Nous sommes en Mai 1845 ; Joseph va faire sa retraite de préparation au diaconat ; Monseigneur Affre, Archevêque de Paris l’ordonnera le 17 Mai, et ordonnera en même temps prêtre, un diacre un peu particulier que Joseph rencontre lors de sa retraite dans la cour du séminaire : l’Abbé Le Dreuille. Cette rencontre va décider de tout l’avenir apostolique de Joseph-Marie Timon-David. Une rencontre providentielle et décisive. L’abbé Le Dreuille âgé alors de 48 ans était diacre depuis 26 ans ; il consacrait toute son existence au soin des ouvriers ; il avait gardé l’habit laïque pour pouvoir mieux pénétrer le milieu ouvrier. « Sa première messe célébrée à Notre-Dame de Paris fut un événement, raconte Timon-David ; on dit que plusieurs milliers d’ouvriers y assistèrent ; il avait sur eux une immense influence. Lors de la retraite de diaconat je fis sa connaissance ; nous causâmes beaucoup pendant les récréations ; ses récits m’enthousiasmaient ». L’Abbé Le Dreuille s’était consacré aux classes laborieuses, celles qui travaillent à la sueur de leur front. Un passage de l’une de ses homélies nous éclaire sur sa vision du milieu social qu’il veut aider : « En vérité, je vous le dis, les plus malheureux dans le peuple ne sont pas ceux qui vivent de secours et d’aumônes, mais bien ceux qui meurent écrasés sous le poids des charges ou énervés par le manque de travail… Si vous ne patronnez pas les classes laborieuses comme vous secourez les classes pauvres, vous verrez de jour en jour s’étendre et s’élargir le gouffre béant du paupérisme…Moi, fils du peuple et sorti providentiellement de ses foules, je leur au conservé assez de sympathie pour oser descendre dans cet abîme ».

Peu après cette rencontre, Joseph part à Marseille passer les vacances à la Viste avec sa mère. Elles sont sur le point de s’achever, quand il reçoit, datée du 22 Septembre, une lettre de l’abbé Le Dreuille qui va provoquer un tournant décisif dans sa vie. L’abbé Le Dreuille se souvenait bien de lui et devait avoir découvert Joseph intéressé par ses activités auprès des ouvriers. « Vous m’avez paru, lui écrit-il, si bon et si zélé que je me décide à vous importuner, sûr que les motifs qui m’animent sont les vôtres et que vous serez heureux de contribuer à l’amélioration physique et morale de nos pauvres frères de Paris ». L’abbé Le Dreuille avait entendu dire qu’à Marseille des groupes existaient pour subvenir aux besoins humains et spirituels des ouvriers. Il voulait des renseignements.

Joseph ne sait à qui s’adresser. Il questionne, on lui indique l’abbé Julien, vicaire à la Paroisse Notre Dame du Mont. Il le rencontre et visite le vaste local de la Loubière en préparation pour réaliser tous les grands projets dont rêve l’abbé Julien en faveur des ouvriers. Joseph boit les paroles de son aîné ; il est enthousiasmé. « O profondeur des jugements de Dieu ! Cinq minutes avant, je ne pensais pas à ces œuvres, je n’en soupçonnais même pas l’existence ; cinq minutes après, l’abbé Julien m’avait enthousiasmé, entraîné, j’étais son homme, c’était écrit au ciel. Ma jeune tête s’enflamme ; me consacrer au soin des pauvres ouvriers me parut la plus belle des vocations ; je me trouvai subitement décidé à l’embrasser et j’offris à Monsieur Julien tout franchement de devenir son collaborateur. Il paraît que je plus à Monsieur Julien, il accepta ma proposition avec cette ardeur qu’il mettait en toutes choses ». le jour suivant l’abbé Julien est à la Viste pour rencontrer de nouveau Joseph. « Nous tombons d’accord que j’irai finir ma quatrième année à Saint Sulpice, qu’il fera dans l’intervalle les démarches auprès de l’évêque et qu’à mon retour je serai à lui ». Joseph est « tout fou » de cet appel ressenti à exercer son futur ministère auprès des ouvriers. Sa mère quant à elle, est beaucoup plus réservée. Elle se méfie un peu, comme par pressentiment, de l’abbé Julien ; la suite lui donnera raison.

Et c’est avec ces projets dans la tête et le cœur que Joseph repart à Paris pour sa dernière année de séminaire qui le conduira à l’ordination sacerdotale. En quelques mois deux rencontres qui marqueront à vie Joseph ; deux prêtres d’origine ouvrière et d’âge mûr, l’abbé Le Dreuille et l’abbé Julien, font découvrir au jeune aristocrate Timon-David le peuple, le monde ouvrier, les jeunes ouvriers. Une force d’En-Haut pousse et appelle Joseph à se déclasser.

Tout cela va le travailler durant les derniers mois de séminaire ; il demande conseil, en particulier à Monsieur Galais qui écrira à ce sujet dans un courrier confidentiel : « Je crois que Monsieur Timon serait véritablement utile dans cette œuvre de l’abbé Julien. Il a du courage, de l’entrain, la parole facile, du cœur et beaucoup de bonnes qualités. Nos Messieurs lui reprochent bien ici d’avoir le caractère un peu entier ; mais en sachant bien le prendre et ne demandant de lui que des choses raisonnables on en vient à bout assez facilement ».

Les évènements vont se précipiter. De graves soucis familiaux l’obligent, fin février 1846 à quitter définitivement Paris. « Un affreux chagrin vint atteindre encore ma mère, qui en avait tant eu depuis sa naissance. Elle était seule, malade, accablée par ce chagrin ». Le voici diacre à Marseille ; il se jette tête baissée dans l’apostolat ouvrier. Monseigneur de Mazenod le nomme comme auxiliaire de l’abbé Julien ; et tous deux lui confient les enfants de l’ Œuvre énorme de la Loubière : catéchismes de première communion et de persévérance car « l’intention de Monseigneur était d’introduire à Marseille les catéchismes selon la méthode de Saint-Sulpice et ce fut une des raisons qui le déterminèrent à me laisser avec l’abbé Julien ». Il s’y donne avec un magnifique succès mais aussi avec une telle fougue, une telle absence de mesure, qu’il en tombe très gravement malade : en avril la typhoïde va le mettre à deux doigts de la mort. Le bruit court même jusqu’à Paris qu’il est mort. Son zèle est grand mais sa santé plus que fragile.

Toutefois il fait son apprentissage dans le ministère. Diacre il peut prêcher et faire le catéchisme : annoncer et faire aimer Jésus-Christ… Et il est doué, il y excelle. Un vrai orateur qui touche les cœurs afin de mieux former les esprits. Le ‘catéchisme de persévérance’ c’est déjà l’Oeuvre en germe ; il deviendra d’ailleurs quelques mois plus tard le noyau de l’Oeuvre. Il commence aussi à se rendre compte que la manière de faire de l’abbé Julien n’est pas tout à fait compatible avec sa vision des choses. Il dira que c’était son antipode. Dès ce moment-là le jeune abbé Timon-David comprend qu’un homme seul ne peut pas évangéliser efficacement la jeunesse populaire ; il faut être plusieurs, au moins deux.

Mais pour l’instant il est sauvé de la typhoïde et le grand jour approche, celui de l’ordination sacerdotale que va lui conférer Monseigneur de Mazenod. Mais avant l’ordination il y a la retraite, retraite durant laquelle le Père Timon-David va écrire son « vœu de servitude » qui donne sens à toute sa vie sacerdotale et plus tard religieuse. Vœu auquel il sera fidèle jusqu’au dernier jour de sa vie. La retraite d’ordination, prêchée par les Oblats de Marie Immaculée, a lieu pendant l’octave de la fête du Sacré-Cœur. C’est durant cette retraite qu’il envisage son sacerdoce comme une appartenance radicale, un « esclavage » envers Dieu et les âmes des pauvres ouvriers. « J’entends par le vœu de servitude envers les âmes des pauvres, la promesse de me porter constamment et de toutes mes forces à la sanctification des ouvriers ; grands ou petits, que la Providence m’a confiés. ‘Nous sommes vos esclaves, à cause de Jésus’… » Suit la liste détaillée de ce à quoi il s’engage pour être l’esclave de ses « maîtres », les jeunes ouvriers.

Ordonné le 28 Juin 1846 à la cathédrale de Marseille, il chante, le lendemain, sa première messe dans la paroisse Saint Vincent de Paul, église de son baptême. Entre les deux élévations il renouvelle mentalement le cœur rédigé trois jours plus tôt ; papier qu’il va garder sur son cœur.

Le voilà « prêtre auprès de sa mère », au service des jeunes ouvriers !

à suivre…