Audience papale (Mercredi 29 août 1860)

Mercredi 29 août 1860, 13 h 30

En arrivant à la maison, je me suis habillé de mon mieux, brossé des pieds à la tête et suis parti pour le Vatican. Mes deux compagnons n’avaient pas d’audience, mais j’étais décidé à faire l’impossible pour eux, surtout Bourguès dont le bonheur est un peu trop de se débrouiller sans nous, et le pauvre M. Pèlegrin n’avait que ce désir en ce monde. Sans exagération, on va chez le Pape comme chez moi. Nous franchissons les Suisses qui ne nous demandent pas même où nous allons, nous entrons dans la grande cour d’honneur ; les Suisses, la garde noble ne nous arrêtent que parce que nous leur demandons le chemin. Nous montons l’admirable, le surprenant escalier Royal, nous voilà dans une grande salle, c’est celle des Suisses ; au fond une autre salle où sont les valets tout habillés de soie rouge, à la française. Là seulement un prélat prend ma lettre d’introduction, un valet prend nos chapeaux, je lève mes gants, je laisse tomber mon manteau, ceux qui arrivent déposent leur épée et nous sommes dans la salle du trône. De peur d’être en retard nous n’avons pas déjeuné. Le Pape reçoit de 11 h à 2 h. Je suis le dernier des cinq inscrits sur la liste, et quatre ministres ont aussi audience, ce qui nous fait attendre jusqu’à 1 h 1/2. Je n’avais pas faim, bien sûr. Pour charmer mes ennuis, je cause avec le général des Franciscains qui attend son tour, avec Mgr Pacca maitre de la chambre, puis pendant une heure, avec M. Cathelineau dont je vous parlerai de vive voix. Enfin le Pape sonne, le prélat de service, habillé tout de soie violette, entre et sort de suite, me faisant signe d’entrer. Le cœur me battait un peu, mais peu : on s’habitue à tout et j’avais déjà vu le Pape pendant trois quarts d’heure. Du reste, cela valait mieux, parce que, plus calme, je voyais et entendais mieux et me proposais de tout bien retenir. Voici la position de l’appartement.

02.Audience papale (Mercredi 29 août 1860)
Schéma du Père Timon-David

J’entre seul. Le Pape est assis, présentant le côté gauche. Je fais ma génuflexion, il me dit en bon français d’approcher. Je me jette à genoux à son côté gauche, je ne puis lui baiser les pieds qui sont sous un bureau fermé, mais il me présente sa main droite que je serre contre mes lèvres avec excès. Mettez vous là, me dit il, en face de lui. Il y a un siège de bois, mais c’est pour les ministres ; je demeure debout et nous causons familièrement pendant 16 minutes, j’avais regardé ma montre. Je lui ai remis notre adresse, plaignant bien ceux qui n’ont pas eu le bonheur de la signer ou qui, étant absents n’ont pas pu être présentés au Vicaire de J.C. dans ce moment mémorable. Puis je lui ai offert mon livre (“la Méthode”), puis demandé des indulgences, puis parlé beaucoup politique. Alors il m’a dit qu’il allait me donner quelques médailles pour mes enfants les plus sages et il est entré dans un appartement que je crois sa chambre

“ St Père, lui ai je dit, votre portrait ferait notre bonheur. ”

“ Je crois que je n’en ai plus, je vais voir. ”

Un moment après, il m’a remis un cornet renfermant 120 médailles en cuivre, de peu de valeur mais fort précieuses par leur souvenir.

“ Voilà pour vous, m’a t il dit, c’est aussi le portrait du Pape. ”

C’était une belle médaille en bronze, d’un très fort module.

“ St Père, puisque vous êtes si bon, il y a là deux membres de mon Oeuvre qui n’ont pu obtenir audience ; ils seraient heureux de vous voir et de parler à leurs frères de vos bontés. ”

Le Pape a sonné :

“ Fate entrare questi due ragazzi, ”

et un moment après Papa Pélegrin était là, ému jusqu’à en perdre la tête. Le Pape était alors debout, nous nous sommes prosternés tous les trois et lui avons baisé les pieds. Après quelques bonnes paroles il nous a congédiés. Papa Pélegrin en sortant m’a encore plus baisé que le Pape, tant il était reconnaissant, Léon, qui vit si à part, était aussi fort touché de voir que j’avais su leur obtenir une faveur que peu d’instants auparavant Mgr Pacca venait encore de refuser. En dégringolant l’escalier, je me suis aperçu que j’avais faim et voilà notre journée d’hier. Ajoutez que le soir j’ai passé une heure avec le T.R.P. Jeandel, général des Dominicains, puis une heure avec M. Chaillot qui avancera beaucoup mes affaires, je l’espère.