Comme un noviciat de notre oeuvre !

Je fus ordonné prêtre le 28 juin de cette année 1846. Le jour de saint Pierre, j’eus le bonheur de dire ma première messe à Saint-Vincent-de-Paul, l’église où j’avais été baptisé. M. Jullien m’assista à l’autel qu’entouraient des centaines d’enfants, et, dès lendemain, sans plus tarder, muni de mes pouvoirs pour la confession et la prédication, je me mis à la besogne, sans perdre une minute. J’étais en même temps nommé aumônier des trois cents enfants de la Société de Bienfaisance et de Charité de la. rue Neuve.

Mgr de Mazenod avait été autrefois catéchiste à Saint-Sulpice ; il savait, par sa propre expérience, tout le bien que font ces réunions ; son intention formelle était de les établir sur le modèle de ce célèbre séminaire, dans toutes les paroisses de Marseille. Selon ses désirs, on m’avait fait chef d’un catéchisme à Saint-Sulpice, pendant trois ans ; j’en possédais donc la méthode ; il me chargea de les établir de la même manière. On me donna quatre séminaristes qui, tous les dimanches, faisaient avec moi le Catéchisme de Persévérance, pendant deux heures. Plus tard, à la rentrée des classes, au mois d’octobre 1846, quatre autres me furent adjoints, le jeudis pour le catéchisme de première communion. Ce fut le noyau et comme le noviciat de notre Œuvre future. L’énergique volonté de Mgr de Mazenod y fit affluer les enfants, malgré toutes les oppositions, et je ne crois pas que jamais catéchisme ait été plus nombreux et plus brillant, à Marseille. Son souvenir étant à peu près effacé aujourd’hui, je vais vous raconter ses principaux épisodes.

Dans l’espace de moins d’un an cinq cents enfants de douze à quatorze ans fréquentèrent nos deux réunions. J’ai soigneusement conservé leurs noms avec les registres d’inscription que, dès lors, nous tenions avec assez de régularité, L’organisation du Catéchisme de Persévérance, avec ses trois cents enfants ou jeunes gens, était celle de Saint-Sulpice ; nous y joignîmes les récréations : c’était encore l’Oeuvre en germe. Je disais, le dimanche, la sainte messe à huit heures. Les enfants, surveillés par leurs quatre catéchistes, chantaient des cantiques ou lisaient à haute voix les prières de la messe. On récitait ensuite, pendant un quart d’heure, la leçon indiquée ; le bon point, fait par moi-même, répétait l’instruction précédente ; un catéchiste faisait en chaire, pendant demi-heure, l’instruction du jour ; les enfants prenaient des notes au crayon, et le dimanche suivant m’apportaient leurs résumés ou diligences. J’en ai conservé un grand nombre dans nos archives et quelques-unes étaient certainement très bien faites. Une récompense plus ou moins grande était accordée à chaque diligence. Un autre catéchiste faisait une homélie de quelques minutes sur l’évangile du jour et je terminais par des avis cette séance qui durait toujours deux heures, sans ennui pour les enfants, à cause de la variété des exercices interrompus par le chant des cantiques. Nos élèves recevaient dans ces séances une instruction religieuse très développée ; les catéchistes eux-même se formaient à ce difficile ministère, et les désirs de l’évêque avaient fait choisir l’élite du grand séminaire. J’ai eu la mauvaise chance de perdre la liste de mes collaborateurs ; quelques-uns seulement sont restés dans mon souvenir : je citerai M. l’abbé Espitalier, mort vicaire de la Palud, emportant d’unanimes regrets ; MM. Antoine Olive, aujourd’hui chanoine honoraire ; Roque, aujourd’hui oblat ; Brassevin, curé de Saint-Charles extra-muros ; Cat, curé de Cassis, etc.

L’instruction religieuse, but direct de ce Catéchisme, n’était pas sa seule fin ; les devoirs de la piété occupaient, dès lors, une grande place. Presque tous les jours, je confessais nos enfants dans leurs écoles ; ceux qui voulaient s’approcher de la Sainte Table venaient me trouver, le samedi soir à ma maison des allées des Capucines, n° 29, et, plus tard, du cours Devilliers, n° 42. Nous avions ainsi quelques communions tous les dimanches, et presque tous s’approchaient de la Sainte Table les jours de nos fêtes. Les jeux, après le catéchisme, remplissaient le reste de la journée. Le matins nous jouions, avant l’exercice, dans la petite cour de la rue Nau, et, après vêpres, dans le local de la Loubière. Après notre séparation d’avec M. Jullien, quand nous fûmes à la rue Sibié, les enfants jouaient, le matin, sur la plaine Saint-Michel, place alors presque déserte, mal nivelée, irrégulière, sans arbres, sans eaux, bâtie à peine d’un seul côté, et que le gaz n’éclairait pas encore Le soir, nous allions jouer aux barres dans les campagnes quand on voulait bien nous recevoir, et le plus souvent aux Chartreux ou au Pharo.

Vous le voyez, sauf le local que nous n’avions pas encore, c’était toute l’idée de l’Oeuvre que nous suivions d’instinct. Que de vicissitudes il fallut traverser avant de lui donner tout son développement ! Le jeudi, nous partions ordinairement à une heure et demie pour la Viste, nous jouions aux voleurs dans les bois, nous revenions le soir, assez harassés de fatigue, après quatorze kilomètres de marche, et tant de courses dans le vallon des Aygalades. Qu’on juge des trouées que tous ces gosiers altérés devaient faire aux dames-jeannes de ma complaisante mère I Elle avait encore la bonté de leur donner souvent de grands diners. Tout cela attirait nos enfants, je le croyais du moins, et nous les retenait un peu.

Le catéchisme de première communion était presque aussi important que celui de Persévérance, puisqu’il réunit dans une seule année deux cent cinquante un enfants, que je croyais l’espérance et l’aliment futur de notre grand catéchisme. Les réunions avaient lieu tous les jeudis matin, à dix heures. Mgr l’Evêque avait décidé que tous les enfants des Frères de N D du Mont et de Saint Vincent de Paul en feraient partie, mais que chacun d’eux ferait ensuite sa première communion dans sa paroisse respective. En effet, quatre vingt dix sept s’approchèrent de la Sainte Table, le 27 mai 1847 : c’était la presque totalité de ceux qui avaient l’âge règlementaire.

Les jours de grande fête, ces deux catéchismes se réunissaient et ces fêtes étaient fort brillantes. La première eut lieu à la rue Nau, sous la présidence de M. Jeancard, alors chanoine et vicaire général, depuis évêque de Cérame. Le nom de Mgr Jeancard se retrouvera mêlé, pendant de longues années, aux plus grandes joies do notre Œuvre. Soixante-deux enfants, jugés dignes de cette faveur, prononcèrent tous ensemble, devant lui leur consécration à N D de Persévérance c’était alors la formule de réception. J’ai conservé toutes ces consécrations, écrites de leurs mains ; je les revois avec bonheur : c’était le prélude des belles réceptions que nous devions faire, un jour, dans notre Œuvre définitivement établie. Je me plais souvent à me figurer que Dieu se ressouviendra de ces consécrations, faites avec tant de sincérité à sa divine Mère, et plus tard à son Cœur Sacré ; et l’une de mes plus douces illusions est l’espérance de pouvoir les représenter par milliers au pied du trône de Dieu, au jour de son jugement.

extrait des Annales vol. 1, pages 28 – 32