Un jour donc, prenant mon courage à deux mains, je vais à l’Evêché. Selon l’usage, je fais un long antichambre dans le vestibule ; le secrétaire général, M. le Chanoine Carbonnel, vient à passer.
“ Que désirez vous ? ”
“ Voir Monseigneur. ”
“ Il est bien occupé (c’était la réponse ordinaire), si je pouvais faire votre commission ? ”
“ Je voulais lui demander de venir consacrer notre nouvelle église. ”
“ Vous voulez dire bénir ? ”
“ Non, consacrer. ”
“ Ah, c’est impossible, Monseigneur est trop âgé, ce lui serait trop pénible, ne lui demandez pas cela. ”
Me voilà tout déconcerté ; heureusement que la porte s’ouvre en ce moment et je suis devant l’Evêque. Je savais son petit faible de vieillard et l’exploitai. Avec ses soixante quinze ans, Mgr de Mazenod avait la plus belle des santés ; il était grand, fort, bien constitué, un fort bel homme sous tous les rapports, et il en était plus fier que dans ses jeunes ans.
“ Monseigneur, lui dis je, j’étais en dispute avec M. Carbonnel. ”
“ Et pourquoi donc ? ”
“ Je lui parlais d’une invitation que je venais vous faire ; il m’a dit que vous étiez trop âgé, que cela vous fatiguerait trop. Moi je protestais que vous ne craigniez aucun genre de fatigue. ”
“ C’est lui qui craint la fatigue, me répondit l’Evêque comme il m’accompagne, il prend ce prétexte pour l’éviter. Je suis le prêtre le plus fort de mon diocèse. Que voulez-vous ? ”
“ Monseigneur, je venais en mon nom, et en celui de toute l’Oeuvre, vous conjurer de consacrer notre église. ”
Voici sa réponse, telle que je la retrouve dans le journal de l’Oeuvre, écrit au moment même, sans doute :
« Ce n’est ni la richesse, ni l’élégance de votre chapelle qui me poussent à la consacrer ; c’est un témoignage d’affection que je veux donner à l’Oeuvre du Sacré Cœur ».
Je ne puis vous dire mon bonheur en entendant ces paroles. Je comprenais l’étendue de la grâce qui nous était faite à tous les points de vue, mon cœur surabondait de joie. Permettez moi d’attirer votre attention sur un seul point le diocèse de Marseille avait été consacré au Sacré Cœur de Jésus par Mgr de Belsunce, en 1722, il y avait cent trente cinq ans. Or, depuis cette époque, jamais encore une seule église, dans ce pays, n’avait été consacrée sous ce vocable. Il y a deux paroisses dans la ville où le Sacré-Coeur de Notre Seigneur est tout particulièrement honoré, parce que deux des anciens prêtres du Sacré Cœur en ont été curés après la Révolution ; mais aucune n’a été consacrée sous ce nom. Notre Dame du Mont est dédiée à la Sainte Vierge et à saint Etienne, Mazargues est dédié à saint Roch.
Nous allions donc être les premiers et longtemps les seuls, car la cathédrale ne sera consacrée au Sacré Cœur que dans cinquante ans. Quelle source de grâce pour nous !
On aura remarqué la fine psychologie de Timon David, la cordialité de ses rapports avec son évêque. On aura remarqué surtout (une nouvelle fois) son attachement au Sacré Cœur, sa fierté d’être des tout premiers à l’honorer comme il le fait, et sa foi dans les grâces qui ne peuvent manquer de découler du fait de lui appartenir.