La veille, tous nos jeunes gens et un grand nombre d’enfants jeûnèrent pour obéir au voeu du Pontifical. La grande salle de notre ancien local avait été changée en chapelle, ou du moins la totalité de la salle, tapissée en rouge, avec des fauteuils tout autour, devait d’abord servir de chapelle, et, après la cérémonie, l’autel enlevé, se changer en salon. Les reliques étaient exposées sur cet autel, dans une caisse en plomb couverte de soie, entourée de cierges et de fleurs. Ces reliques, avec leur authentique de Mgr de Bonneval, évêque de Senez, me venaient de Mme Valette, qui en avait hérité de son frère, M. Carentène, un des derniers prêtres du Bon Pasteur. C’étaient les reliques de saint Sébastien, martyr, Saint Celse, jeune martyr, et sainte Cécile, vierge et martyre. A neuf heures du soir, avec tous les grands, nous récitâmes les vigiles, et les cierges brûlèrent toute la nuit devant l’autel surmonté d’un dais.
A six heures du matin, nous dîmes la première messe à la chapelle latérale de Saint Joseph, pour ceux, en grand nombre, qui voulurent faire leurs dévotions. A sept heures, nous étions rangés sur le perron, depuis la porte du boulevard de la Madeleine jusqu’à la porte de la chapelle, avec croix et bannières, enfants de chœur, prêtres invités, car c’était l’heure indiquée par Monseigneur. Mais ce saint prélat était peu exact d’ordinaire ; il venait de sa campagne où un accident avait renversé un de ses murs de clôture. Il l’avait fait relever de nuit, de peur d’être soumis à l’alignement, et n’avait pas quitté la brèche pour encourager les ouvriers d’où une indisposition qui avait failli l’empêcher de venir. Mais il avait coutume de tout braver, et il nous arriva à huit heures, après une heure de retard. La cérémonie commença aussitôt.
Il y avait en outre, dit le journal, un grand nombre de personnes étrangères, des amis de l’Oeuvre, des parents des enfants.
Les cérémonies s’accomplirent selon les prescriptions du Pontifical. Les arbres de la cour avaient été plantés au mois de janvier, par conséquent ils ne donnaient point encore d’ombre. Pour nous parer des ardeurs du soleil, dans ce premier jour d’été, nous avions mis de grandes tentes tout le long de la façade. C’est là que nous étions tous réfugiés, attendant que nous pussions entrer. Les femmes, plus heureuses, avaient envahi la chapelle Saint Joseph et pouvaient voir quelque chose à travers les grillages. Un grand nombre de nos jeunes gens se tenaient en dehors de la porte de la chapelle. Peu à peu, ils avançaient, à moitié poussés par ceux de derrière, à moitié attirés par leur curiosité. Mgr l’Evêque s’en aperçut, et, après que la croix de cendres eut été balayée, il ordonna qu’on les fit entrer, ce qui nous permit de suivre toutes les cérémonies, malgré la rubrique.
Arrivé à l’endroit où l’Evêque fixe le jour auquel désormais on célébrera l’anniversaire de la Dédicace, Mgr de Mazenod se tourna vers moi et me dit :
“ Quel jour choissez vous vous ? ”
“ Monseigneur, si vous le voulez bien, le troisième dimanche de juillet. ”
Ce pauvre Evêque, après la consécration des piliers, ruisselait de sueur ; aussi, tout surpris, s’écria t il :
“ Mais vous choisissez une époque impossible, vous mourrez de chaleur. ”
“ C’est pour cela que nous choisissons ce jour, lui répondis je. Depuis le Sacré Coeur jusqu’à l’Assomption, nous n’avons aucune fête et nos enfants oublient le bon Dieu dans leurs bastides. Cela les fera revenir au moins une fois dans l’été. ”
“ Ah vous avez raison. ”
Et l’anniversaire de la Dédicace fut ainsi fixé au troisième dimanche de juillet, avec octave. […]
Les plus beaux moments de cette cérémonie furent la consécration des piliers, celle de l’autel, la procession des reliques, portées sous le dais et sur un brancard, par quatre prêtres en dalmatiques rouges. Il y eut vraiment des instants émouvants, où le silence et le recueillement étaient absolus dans la chapelle. Mgr de Mazenod avait de grandes manières, il faisait admirablement les cérémonies, de l’aveu de tous, tout en lui avait de l’ampleur, de la dignité, de la majesté il rehaussait tout par sa manière de faire.
M. le Chanoine Brunello célébra ensuite la Sainte Messe, et tout était terminé vers une heure après midi. Je vous l’avoue, mes chers enfants, ce fut un des plus beaux jours de ma vie, et il me semble que jamais je n’en témoignerai assez à Dieu ma reconnaissance. Aussi, j’aime cette chapelle avec un amour indicible, et quand je vous vois si en train pour l’orner et l’embellir, vous me donnez des joies que je ne puis vous dire. Oh que j’ai compris ce jour là cette belle prière de Salomon, qui est l’offertoire de la Dédicace Domine in simplicitate cordis mei loetus obtuli universa et populum tuum qui repertus est vidi cum ingenti gaudio Deus Israel custodi hanc voluntatem.
Après le transport des reliques, la moitié de la grande salle de l’ancien local avait été changée en salon, et l’autre moitié en salle à manger. Monseigneur ne revenait pas de la promptitude avec laquelle avait eu lieu ce changement. Mais tout était si bien prévu qu’un de nos congréganistes, Napoléon A… avait même dessiné le plan du service de la table, de sorte que les domestiques n’avaient plus qu’à l’exécuter.
Une heure après, les enfants, revenus de chez eux, remerciaient Mgr l’Evêque en vers, en prose, en musique. Ce saint prélat était ravi, mais pas plus que nous, qui lui conserverons un souvenir éternel.
Les vêpres furent des plus solennelles, pas besoin de le dire ; pour la première fois les piliers furent encensés au Magnificat. M. le Chanoine Guiol, curé de Saint Charles, le plus vieil ami de notre oeuvre, nous fit un de ces beaux sermons, comme il sait les faire. Ainsi se termina cette belle journée, la plus belle que nous eussions vue, une des plus belles que nous verrons jamais. Aussi la fîmes-nous durer pendant huit jours, en célébrant son octave avec la plus grande pompe.