L’émancipation de Timon David se fit aussi sur le plan spirituel : de l’influence de l’abbé Brunello, il passa sous celle du vrai père de son âme, son confesseur depuis 1850 jusqu’à sa mort, le Père Jean du Sacré Cœur*.
Né à Dijon en 1813 d’une vieille famille bourguignonne (son père était notaire, puis avocat et juge), Louis Maulbon d’Arbaumont entra à Polytechnique en 1832 et y subit des influences intellectuelles et morales délétères. Il choisit, en sortant, l’Ecole des Ponts et Chaussées, où il se classa encore plus brillamment. Il dirigea comme ingénieur, en 1835, des travaux sur les routes du Dauphiné. Cependant, sous diverses influences, son coeur se retourna vers l’humilité et la religion. Envoyé dans la Drôme, il écrit à sa mère le 29 juin 1836 pour lui avouer son « envie irrésistible d’être prêtre ». Ingénieur d’arrondissement à Saint Flour, il profite d’une tournée le 8 juillet 1837 pour se jeter dans la pénitence, il se confesse enfin le surlendemain.
Dès lors, il va vers Dieu à pas de géant. Il s’affiche comme chrétien pratiquant et fervent. Son père, pourtant peu religieux et principal obstacle, lui ayant écrit dans un sens favorable, il obtient un congé de son administration et part le 12 octobre pour Saint Sulpice, courant sur la voie de la pauvreté, de l’humilité et de la pénitence. Sa démission définitive des Ponts et Chaussées est finalement acceptée en février 1840. Mgr Affre l’ordonne prêtre le 5 juin 1841. En juillet Mgr Rivet, son évêque de Dijon, fait de lui son secrétaire particulier, l’homme de sa droite, lui donnant toute sa confiance et son coeur. Mais il restait travaillé par l’attrait, que favorisaient ses fonctions mêmes, d’une vie pénitente et victimale, où il entra résolument avec l’accord de son directeur M. Galais (son maître comme celui de Timon-David, à Saint Sulpice). En octobre 1847, à Lyon, il découvre l’existence des Religieuses Victimes du Sacré Coeur de Marseille à la suite des événements de 1848 « à Rome et en France », il entre le 4 mars en correspondance avec leur Supérieure pour « s’associer à leurs dévotions ». « Mère Marie Victime de Jésus Crucifié » (c’était en religion le nom de Julie Adèle de Gérin Ricard) comprit aussitôt que c’était l’homme qu’une voix intérieure lui désignait depuis longtemps comme devant achever sa fondation de 1841. Une sorte de tiers ordre de victimes s’établit alors, dont le « Père Jean » (ce fut son nom) devint comme le Prieur ; M. Galais s’y mit lui même, et beaucoup d’autres encore. L’abbé d’Arbaumont sentit la nécessité d’un ordre masculin parallèle à celui des religieuses. Il dut s’arracher à son évêque pour aller frapper le 11 mars 1850 à la porte du couvent marseillais : dans son intention, seulement pour 15 jours, juste le temps de mettre au point les Constitutions du monastère avant d’entrer lui même chez les Capucins. En fait, il ne quitterait plus jamais la maison.
L’année même de son arrivée à Marseille, à la suggestion de M. Galais, le Père Jean devint le confesseur de Timon David l’un avait 27 ans (et 4 de prêtrise), l’autre 37 ans (et 9 de prêtrise), mais l’humilité du Père Jean le cachait si bien que son pénitent ne sut pas grand’chose de lui jusqu’à ce qu’après la mort du Père, son travail d’hagiographe lui en fit faire l’éblouissante découverte.
Malgré ses effrayantes pénitences personnelles dont personne ne savait rien, le Père Jean procura à Timon David, 32 années durant, une direction douce, équilibrée, apaisante et marquée par le bon sens, se comportant comme un second François de Sales. » Dieu, disait il, ne fait rien brusquement, il nous fait vouloir ce qu’il nous demande « . La doctrine d’après laquelle il dirigeait en matière de sacrifice est contenue dans le « Catéchisme des Victimes » écrit par Mère Marie Victime de Jésus Crucifié, soigneusement revu par le Père Jean. Tout s’y rattache à l’idée de l’unité des chrétiens avec Jésus Christ à l’intérieur du Corps Mystique, qui fait que toute souffrance d’un chrétien est souffrance du Christ. Il ne s’agit que de » compléter ce qui manque aux souffrances de Jésus Christ » (St Paul). Et ce, en ses quatre états d’oblation, d’immolation, de transformation et de communion, correspondant respectivement à l’Incarnation, à la Passion, à la Résurrection et à l’Ascension. Les « victimes » doivent l’imiter essentiellement par une vie intérieure et d’union avec lui : tout est dans l’esprit et la volonté, et le support des peines ordinaires de la vie suffit presque, quand elles sont reçues dans l’esprit qu’il faut. Les pénitences afflictives ne sont certes pas repoussées, mais elles n’interviennent que comme le simple complément de la pénitence intérieure. On retrouve cette doctrine, admirablement exposée, dans le petit ouvrage du Père Jean intitulé » Introduction à la vie de victime « .
Il est indispensable de noter que le Père Jean ne fut pas seulement pour Timon David un directeur spirituel : il intervint aussi, à la demande même de son dirigé, à chaque pas de sa fondation et de ses grands actes initiaux :
- il collabora avec Timon David dans son ministère à l’Oeuvre, il y prêcha des retraites et en suivit pas à pas l’histoire et l’évolution ;
- il coopéra sans cesse avec lui sur divers cas individuels, finalement nombreux, qui venaient lui échoir ;
- il organisa avec lui, et anima dix années durant, les retraites du mois aux prêtres ;
- il lui fit écrire sa Méthode (et l’Histoire de l’Oeuvre), la revit et travailla à la diffuser comme son oeuvre propre ;
- il suivit la production du Traité de la Confession, des Souvenirs de l’Oeuvre, des Constitutions de la Communauté ;
- il façonna pièce à pièce en ses membres, et mot à mot en sa conception, cette Communauté naissante (1854,1859), qu’il présenta lui même à l’évêque. Il fit prendre conscience à Timon David de sa grâce personnelle de fondateur, se refusant à prendre sa place et sa responsabilité ;
- il présida à la conversion à la pauvreté et donc au devenir religieux de Timon David ;
- il contribua à développer sa dévotion au Sacré Coeur et la fit culminer dans l’esprit victimal…
* TD écrivit la vie du Père Jean en 1886, quatre ans après sa mort, depuis le 21 avril jusqu’au « 27 » (ou 24) décembre « Vie du serviteur de Dieu Louis Maulbon d’Arbaumont, en religion le R.P Jean du Sacré Coeur ; directeur des Victimes du Sacré Coeur de Jésus » (Marseille 1887, Oeuvre de la jeunesse ouvrière, 536 pages). Le Père se servit des documents réunis par les Religieuses Victimes, filles spirituelles du Père Jean ; « depuis des années, même de son vivant, elles avaient réuni d’immenses matériaux, peut être 10.000 pages de ce format de papier » (20 x 29 cm) v. 30, p. 189. TD raconte par ailleurs l’histoire de cette rédaction et de cette publication dans « La vie du Père Jean du Sacré Coeur », du 28 avril au 2 mai 1887, manuscrit faisant suite aux « Infortunes d’un auteur » (v. 30, pp. 183 242). Son ouvrage fut repris en 1910 par le R.P. Norbert de Chaufailles, capucin. Du vivant même de TD, un abrégé en avait été rédigé sous l’anonymat par Dom François de Sales Pollien, chartreux : d’abord pour les Annales Catholiques (avril mai 1888), puis en brochure (juin 1888). Autre résumé, modernisé et illustré, paru en 1982 pour le centenaire de la mort, sous le titre : « Saint ou fou ? Un amant de la Croix, le Père Jean du Sacré Coeur » (Nîmes, Imp. Bené). En 1978, un article fut donné dans le Dictionnaire de spiritualité tome X sous le titre « Maulbon d’Arbaumonl (Louis,) » avec bibliographie par M. Raymond Darricau, professeur à l’Université de Bordeaux III.
source : Josephi-Mariae TIMON-DAVID « Positio super virtutibus et fama sanctitatis », pages 110 – 111