Le vœu de virginité

Le vœu de virginité : extraits de « Mes Souvenirs »

L’été 1837 je fis donc un voyage à pied, sac au dos, 250 lieues en 25 jours. J’en ai fait et gardé le journal que j’écrivis pour ma mère. Nous étions 13 élèves ; le Père Pascalin dirigeait la bande, le P. Jeantier en était le Père Spirituel ; c’est alors que je fis sa connaissance intime, ce devait être pour moi la source des plus abondantes grâces du Bon Dieu. Nous nous confessâmes tous à lui et fîmes nos dévotions à Einsisdeln et sur le Grand St Bernard le jour de la Nativité (8 Septembre). L’ange de notre bande était Félix de Barrau d’Abadie. Nous eûmes nos joies et nos souffrances dans ce voyage, car si la Suisse est le plus beau des pays, c’est bien ordinairement un des plus vilains climats. Ce fut le dernier jour de ce voyage, en sortant de Payerne, que m’arriva le commencement d’une vie nouvelle inondée des bénédictions de Dieu, et, certes, de bénédictions bien gratuites, car je ne fis rien pour les mériter, ce furent toutes des grâces prévenantes auxquelles je n’ajoutais que mes ingratitudes et mes infidélités. 1837-1838 fut ma 3° année ; je fis mes classes de 3° toujours avec le Père Nègre, je travaillais vraiment beaucoup mieux, et commençais à avoir des succès. Je devins Préfet de la Congrégation de Saint Louis de Gonzague, tout concourut à faire de cette année la plus belle de ma vie. Quoique le Père Deniau passât encore cette année à la tête de la Congrégation, je conservai le Père Jeantier pour confesseur à la suite de ce voyage où il avait conquis toutes mes sympathies par la manière dont il parlait du bon Dieu et de la vertu (la pureté). C’est en lisant les souvenirs de Saint Acheul que la pensée me vint de me consacrer à Dieu. J’ai raconté tout cela ailleurs. Le Père Jeantier me trouva assez pieux, et vraiment je crois que je l’étais beaucoup à cette époque, pour m’accorder cette immense grâce, et le 14 Janvier à la communion je prononçais pour la première fois mon vœu temporaire de virginité. Il faudrait comprendre l’excès e mon imagination pour se rendre compte du bonheur que j’en éprouvais ; ce fut pour moi comme une ivresse qui dura un grand nombre d’années jusqu’au moment où les réalités de la vie ont si étrangement émoussé ma sensibilité. J’aurais voulu dire mon bonheur à tout le monde, mais le Père Jeantier m’avait ordonné le plus profond secret, et c’est étonnant, pour un enfant de 15 ans, comme je l’ai fidèlement gardé, jusqu’au moment où, lié par des vœux bien plus solennels j’en au moins fait un mystère. D’ailleurs, avec qui me serais-je épanché dans le milieu où je vis ! il a bien fallu vaincre ma nature et me renfermer en moi-même, qui aurait pu me comprendre ? Ma mère même, pour qui je n’avais rien de caché, ne l’a jamais su…qu’au ciel ! Après deux ans d’absence, je devais aller en vacances, à la fin 1838. Mais ma mère ne pouvait plus se refaire après sa double maladie. On décida donc que c’était elle qui viendrait passer trois mois à Fribourg. Je ne perdais rien au change et Dieu réunissait pour moi, dans cette année bénie tous les genres de bonheur…

Le Dimanche 8 juillet 1838, le Pensionnat célébrait sa grande fête de St Sérapion, jeune martyr dont le Pape nous avait donné le corps. Selon l’usage je faisais céroféraire à la messe de communion. A la Préface nous allons chercher nos flamberges. Le Père Jeantier nous gardait à la sacristie : « Joseph, me dit-il, vous allez renouveler votre vœu ? – Oui, mon Père.- Pour combien de temps ? – Pour ce que nous me permettrez. – Faites-le pour toujours. »

Je renonce à dire mon bonheur .. Dieu l’a connu à cette époque et 46 années n’ont pu en effacer le souvenir dans mon cœur.