L’épuisement du Père en 1847

En redescendant du domaine du rêve à celui du réel, l’abbé Timon David restait l’âme en peine, délogé de l’entreprise première où il avait investi tout son enthousiasme, et privé de tout investissement nouveau qui en tint lieu.

« J’étais épuisé de fatigues physiques, de chagrins, de contrariétés. Il n’y avait pas un an que j’étais prêtre et j’avais prêché tous les dimanches deux fois, j’avais fait faire 97 premières communions à mon catéchisme, garçons ou filles de la Bienfaisance, entendu plus de 4.000 confessions, mené de front deux grands catéchismes fréquentés simultanément par plus de 400 enfants. Je me levais tous les jours à 5 heures ; à 6 je disais la Messe à la Bienfaisance pour faire plaisir à ces Dames ; les dimanches et jeudis, je faisais des lieues entières pour conduire mes enfants en promenade ; voilà à peine une idée de mes fatigues physiques. Je m’étais usé avec Caïus (l’Abbé Julien) ; j’étais persécuté à mort par les Frères ; j’avais perdu tout espoir du côté de Titius (M. Brunello) ; je ne savais plus à qui me confier, quel secours implorer. Il fallait absolument m’arracher à tout cela, car je dépérissais à vue d’œil. Ma famille m’envoya revoir l’asile bien-aimé de mon enfance, on me fit partir pour Fribourg. » (HCFO v33, pages 216 217)

Les Annales commentent (vII, page 42), en ajoutant aux travaux énumérés “l’aumônerie de la Bienfaisance avec ses 300 enfants”.

Tous mes efforts n’avaient eu que des résultats transitoires, sans rien de définitif. Je n’avais plus le local de La Loubière, qu’on m’avait fait quitter ; je n’avais pas eu celui de Saint Raphaël qu’on m’avait promis ; les Frères ne laissaient plus venir leurs enfants, une fièvre typhoïde m’avait presque conduit aux portes du tombeau ; c’était assez pour une première année ; il fallut tout interrompre, en m’arrachant violemment à tant de tribulations. On m’envoya à Fribourg, l’asile chéri de ma jeunesse, l’endroit où j’avais appris, pendant sept ans, ce que valaient les âmes des enfants, ayant vu de mes propres yeux tout ce que peut inspirer le zèle le plus éclairé pour la direction de la jeunesse. »

Lors de sa typhoïde de l’année précédente, Fribourg était apparu déjà comme le hâvre du salut. M. Galais lui écrivait en effet le 10 mai 1846.

« Je penche beaucoup pour le parti que vos bons parents vous proposent qui serait d’aller passer quelque temps à Fribourg. Je ne vois pas grand inconvénient à ce que votre ordination fût retardée de trois semaines, et quant à la dissipation, je crois que la pensée d’une ordination si prochaine vous maintiendrait fortement, et qu’après tout elle serait compensée par l’avantage de revenir bien portant et plus en état de vous appliquer à une bonne retraite. Je vous engage, si vous n’y avez pas trop d’opposition, à en parler à Monseigneur votre évêque, à lui soumettre la chose et à vous en tenir à son avis. »

La chose ne se fit pas en 1846, mais nous voyons que quatre et cinq ans après avoir quitté Saint Michel, Joseph Timon David y avait si manifestement laissé son cœur, et la chose était si évidente autour de lui, que ses proches ne songeaient à aucune autre solution : c’était à Fribourg qu’il fallait l’envoyer pour le restaurer ; c’était là qu’il avait eu sa deuxième naissance, c’était là seulement qu’il aurait sa résurrection.