« Ma Mère » par le Père Timon-David

Dieu m’avait donné une mère !

Ah, quelle mère !

Son souvenir est le plus doux souvenir de ma vie et les larmes que je verse chaque fois que son nom me revient sont les plus douces que j’aie jamais versées. Il y a peu de jours qu’elle m’a été ravie par la mort ; son souvenir est donc encore présent à une foule de personnes ; quel est celui qui n’en fait pas l’éloge ? Pour moi, j’admirais ses belles qualités, son grand sens, son tact exquis, sa sensibilité, son esprit naturel, sa douceur, sa bonté. Mais toutes ces qualités étaient surpassées par une bien plus grande ; « elle m’aimait ».

Oui, je le sais, toutes les mères aiment leurs enfants ; leur cour laisse échapper un reflet de l’amour de Dieu pour nous. Mais aucune mère n’a jamais aimé comme m’aimait ma mère. C’est la seule personne qui m’ait aimé, car que sont les amis d’ici-bas ? Des égoïstes qui ne nous aiment que pour eux. Ma mère m’aimait pour moi.

Pendant onze ans, j’ai été élevé sans fortune avec les plus grands seigneurs. Qui payait mon éducation ? Les sacrifices de ma mère. Les arts d’agrément, les menus plaisirs, la toilette, tout était le prix de quelqu’une de ses privations. Pendant sept ans que nous avons eu ensuite le bonheur d’être réunis, mes joies étaient ses joies, mes peines étaient ses peines. Elle les devinait quand je voulais les lui cacher. Et quand, dans les circonstances les plus cruelles, je n’avais pas le courage de supporter la douleur, elle oubliait la sienne pour me consoler, comme à la mort de mon frère.

Ah, ma mère ! Vous seule m’avez fait comprendre l’amour. Je n’avais jamais aimé que vous et désormais sans doute, nul ne pourra occuper la place que vous avez laissée dans mon cœur. Sommes nous donc séparés ? Oh non ! Dieu est le lien des esprits comme l’espace est le lien des corps. Vous n’êtes donc pas loin de moi. J’aime à croire, quand je pense à vous, que votre âme est auprès de moi, que vous me protégez, que vous veillez sur mes pas. La communion des saints n’est elle pas un article de ma foi ?

Timon David, Rêveries décembre 1853