Mme Timon-David et Mgr de Mazenod

A propos de Saint Sulpice

Il fallait avant tout choisir la maison ou je ferais mes études ecclésiastiques. Ma mère qui avait fait tant de sacrifices pour me faire élever à Fribourg penchait pour le célèbre Séminaire Saint Sulpice […]

Un obstacle infranchissable s’élevait tout d’abord : Mgr de Mazenod y consentirait il ? ce n’était pas probable car, quoique élève enthousiaste de Saint Sulpice, jamais il n’avait voulu permettre à personne de son diocèse d’y aller, ou du moins il s’était promis de ne jamais plus le permettre. Je ne puis me dire pourquoi : était ce son droit ? Un jeune homme encore libre ne peut il pas aller étudier où il veut ? Avec les Evêques français il ne faut pas soulever ces questions, et avec Mgr de Mazenod, moins qu’avec un autre. Je crois que je fus chargé de lancer moi même ce lièvre, mais je n’obtins qu’un refus absolu. Ma mère, avec cette ténacité de volonté dont j’ai hérité, ne s’effrayait pas de si peu ; elle résolut d’emporter la chose. Elle va à l’Evêché avec mon frère aine ; un malotru de concierge la reçoit dans l’ancienne cour au Nord, froide et humide, et lui dit : “Asseyez vous là, je ne sais pas si Mgr peut recevoir, s’il passe il vous verra.”

Ma mère s’asseoit en plein air sur une chaise, attend une heure et prend une fluxion de poitrine. Ma vocation faillit lui coûter la vie. L’auteur de la vie de Mgr de Mazenod dit combien il était accessible à tout le monde : c’est un énorme mensonge ; je n’ai connu personne plus inabordable que lui, toujours sous clé avec ses Oblats ; il était plus facile d’entrer au Vatican chez le Pape qu’à l’Evêché de Marseille. Je ne l’ai que trop éprouvé pendant 19 ans. Enfin passe M. Cailhol, le seul Grand Vicaire bien élevé de l’Evêché ; il est pris de pitié pour cette dame de 60 ans, et la fait entrer avec mon frère.

Ma mère expose sa requête, Mgr saute en l’air et avec sa vivacité méridionnale refuse catégoriquement ; il est le père de toua ses prêtres, il veut les avoir autour de lui, les élever lui même. Il s’exprime avec tant de coeur et de chaleur que mon frère de dire : Maman, Monseigneur a raison, il ne faut plus y penser. Ma mère était une femme de tête autant que de coeur elle ne se désarçonne pas pour si peu, elle laisse l’Evêque s’épuiser, puis quand il n’a plus rien à dire elle prend la parole : j’étais d’une faible santé, les médecins déclaraient que je ne pourrais résister dans cette triste caserne qu’on appelait un Séminaire (il ne méritait pas mieux) sous le mistral, au bord de la mer ; que ces médecins lui avaient déclaré que j’étais destiné à mourir de la poitrine avant trente ans probablement. Enfin, elle fut à son tour si éloquente, si persuasive, que Mgr s’écria de mauvaise humeur : Je ne puis pas prendre une pareille responsabilité, qu’il aille à Paris, mais j’y mets pour condition que moi seul l’ordonnerai prêtre ; c’était la condition qu’il imposait à tout le monde et je ne demandais pas mieux que de dire ma première messe à côté de ma mère, sans la faire voyager à Paris comme elle l’eût fait. Elle revint toute triomphante, se mit au lit et nous faillîmes la perdre, victime de l’universelle et inhumaine consigne de l’Evêché. Son fort tempérament la tira encore une fois d’affaire.

On hâta la confection de mon nouveau trousseau d’ecclésiastique. Permettez moi ce petit détail : le Comte d’Artois, plus tard Charles X, étant venu à Marseille, la Ville lui donna un bal au grand théâtre on n’y était reçu qu’en culotte. Mon vieux père, invité, avait fait faire pour la circonstance deux indispensables en une étoffe qu’on appelait alors du drap de soie. Ma mère les fit recouper à ma taille et j’eus, sans doute, les plus belles culottes de tout le clergé français…

Joseph-Marie Timon-David dans  » Mes Souvenirs «