Victor Bouisson par le Père Carouché

Victor Bouisson fut du premier catéchisme de persévérance en 1846. Tout enfant, il sentait déjà bouillonner en lui de mystérieuses ardeurs : « Dans mes rêves, disait il, je voyais toute une carrière de gloires et d’ambitions. Je me fusse fait soldat, mon coeur battait en me voyant à cheval, à la tête d’un bataillon. »

Hélas ! au lieu de caracoler sur le front d’un régiment, le jeune Bouisson marche maintenant sur une béquille. Mais quelle belle âme se révèle en ce corps disgracié ! Il s’attache à l’oeuvre d’une passion tendre et enthousiaste. Il a suivi l’abbé Timon à la rue d’Oran et il n’y a pas de plus assidu que le petit infirme. L’hiver, les abords de la maison sont difficiles ; on n’y arrive que par un raide sentier argileux. Victor est là, dès six heures du matin, sa béquille sous le bras, « marchant des pieds et des mains pour ne pas se laisser tomber ». Il est le boute-en-train dans la cour de jeux, malgré sa douloureuse infirmité. Le soir, quand il a bien couru aux barres ou à la balle, il peut montrer à l’abbé Timon le dessous du bras déchiré jusqu’au sang. Le pauvre enfant sait que l’exemple entraîne et il le donne au prix d’une plaie. Il est l’annaliste de la maison et le premier journaliste de l’oeuvre.

En 1849, le choléra éclate à Marseille : les congréganistes s’enfuient avec leur famille dans toutes les directions. Le concierge de l’oeuvre a mis en sûreté sa précieuse personne. Victor réclame l’honneur de le remplacer, car il ne veut pas que la chapelle demeure seule la nuit. « Coucher à côté du Saint-Sacrement, séparé par une simple porte, lui semblait un bonheur sans égal… Le choléra pouvait l’emporter sans secours pendant la nuit ; il n’y pensait même pas. » Et le matin, à cinq heures et demie, quand l’abbé Timon arrivait pour la messe, Victor était debout et tout était prêt déjà. Les cahiers de retraite de cet enfant sont touchants jusqu’aux larmes ; on dirait qu’il a le sentiment que sa vie sera brève et, puisque le temps lui manquera, il veut monter plus vite, aller très haut. Il raisonne de la vie, de son terme de ses devoirs, comme en raisonnent les novices du cloître.

Le jour où l’abbé Timon se cherchera des auxiliaires, Victor viendra s’offrir le premier. Il meurt à vingt ans, pur comme un ange, noble comme un martyr, car après avoir donné à l’oeuvre les gouttes de son sang, il lui avait offert aussi l’holocauste de toute sa vie.