Épisode 2
Enfance à Marseille ( 1823-1835)

La petite enfance de Joseph-Marie Timon-David, vécue à Marseille, tantôt en ville aux Allées des Capucines, tantôt à la campagne de la Viste, se déroule principalement sous le règne du Roi Charles X, dans une atmosphère générale de « restauration » politique et religieuse, atmosphère renforcée par les sentiments qui règne dans la famille Timon-David.

Marseille connaît un renouveau religieux, en particulier grâce à l’action missionnaire et zélée de son évêque, Monseigneur Eugène de Mazenod, fondateur des « Missionnaires de Provence », appelés par la suite « Oblats de Marie Immaculée », qui sera « l’évêque » du Père Timon, un « Père ». C’est lui qui l’ordonnera prêtre, qui bénira son « Œuvre », qui le poussera à fonder sa « congrégation religieuse », qui le soutiendra et l’encouragera. La famille Timon-David vit paisiblement sans le moindre luxe, dans une très grande simplicité, commandée par la gêne. Mais Madame Timon-David, quoique parfaitement résignée aux privations personnelles « ne pouvait se résigner à déchoir : elle avait l’ambition de refaire ses enfants et de tenir elle-même son rang ». Très pieuse elle voulait donner à ses enfants une éducation franchement chrétienne. C’est donc au contact de sa mère, en entendant ses paroles et ses conseils, en la voyant vivre que le jeune Joseph va recevoir les fondements de sa vie spirituelle. Très attachée à sa mère il veut l’imiter. Très pieuse sa mère s’enfermait dans une petite pièce pour y faire ses prières : « je me mettais à ses côtés et, entendant qu’elle disait toujours, en priant bas, quelque chose qui ressemblait à psi-si-si-si… je croyais que c’était la formule de la prière et je le répétais à côté d’elle ».

Doué d’une grande vivacité d’imagination, d’une nature ardente et maladive, aussi rapide à souffrir qu’impatient de vivre, le petit Joseph ne fut pas précisément ce que l’on appelle un enfant facile. Coléreux, exigeant, il a une petite âme de chef ; il a horreur de tout ce qui sent l’injustice et en même temps il est très sensible. Seule sa mère parvient à éduquer ce tempérament de feu. « J’étais d’une sensibilité extrême, ma mère savait la ménager ; jamais de sa part une brusquerie, un mouvement d’impatience ; avec une caresse, un mot de raisonnement ou d’affection, elle faisait de moi tout ce qu’elle voulait. La grande punition de la maison était qu’elle me dît vous…. J’étais très colère. Quand mes excès de colère étaient passés, ma mère me faisait comprendre la grandeur de ma faute et je la comprenais immédiatement, ce que je n’aurais jamais fait, tant j’étais fier, si on avait employé la violence ou les châtiments. Enfin j’avais horreur de l’injustice, je ne pouvais la comprendre et ma mère ne me punissait jamais sans me faire d’abord bien saisir que je l’avais mérité ». Joseph est pour ainsi dire né prêtre : « Dès ma première enfance, aux premières lueurs de ma raison, j’avais toujours dit que je voudrais être prêtre ; à la maison on m’appelait Monsieur l’Abbé ». Aussi joue t-il à « la chapelle » avec une constance admirable « imitant avec une fidélité surprenante toutes les cérémonies de l’Eglise ». A la Viste, dans sa maison de campagne il organise processions et diverses cérémonies… et à l’école, dans son pupitre il s’est fabriqué des petites figurines et s’amusent à organiser en cachette diverses processions. Plus tard il écrira : « C’est une des plus grandes grâces que Dieu m’a faites … Ce goût des choses d’Eglise a entretenu ma vocation ».

L’écolier est moins brillant que le prêtre en herbe. Remuant, bavard, paresseux, il met moins de zèle à apprendre ses leçons qu’à célébrer des messes. Ses premières expériences scolaires (de six à neuf ans) ne lui laissent guère que de mauvais souvenirs. Ses maîtres ne savent pas le prendre comme sa maman . « J’étais sans cesse puni et battu : c’était la mode du temps ; mais c’était pour moi la pire des méthodes, sensible comme je l’étais, habitué à faire tout ce que ma mère voulait avec une simple caresse ». Timon-David retiendra plus tard une leçon de son passage à cette école primaire : « la pédagogie de la douceur pratiquée à la maison est bien plus efficace que le recours à la brutalité ».

A l’âge de huit ans, Joseph fait un séjour à l’œuvre de Monsieur Allemand. Ainsi a t-il connu vivant, celui dont il deviendrait plus tard le disciple le plus connu, propagateur de sa méthode.

Mécontente des premiers instituteurs, se refusant à mettre Joseph au « maudit » Collège Royal, après la Révolution de 1830, Madame Timon -David s’oriente vers le Petit Séminaire. « Nous étions fort pauvres malgré notre rang, aussi ma mère obtint-elle une demi-bourse. J’en ai toujours conservé beaucoup de reconnaissance à Mgr de Mazenod ». L’oncle Jean-Baptiste paie l’autre moitié et Joseph peut faire son entrée le 30 Mars 1832 âgé de neuf ans. Première séparation avec sa mère, car le Petit Séminaire est un pensionnat. « Mes maîtres m’aimaient beaucoup, mais j’étais d’une incroyable paresse. Je ne restais jamais sans rien faire, je n’étais pas mou, ni lymphatique, ni anémique, mais je ne faisais pas mes devoirs, n’apprenais pas mes leçons, je passais mes études à jouer, à arranger une petite chapelle dans mon bureau, à faire dire la messe à des petits prêtres en carton que j’habillais et déshabillais ». Le Petit Séminaire se caractérisait par une « esprit de famille et de simplicité. Nos maîtres nous aimaient et nous les aimions, mais l’éducation était rudimentaire et on nous battait sans relâche.. Ma mère gémissait de ces excès mais notre pauvreté nous y condamnait ». Cependant il y avait « un parfum de piété général » dû aux prêtres du Sacré-Cœur.

C’est durant son séjour au Petit Séminaire que Joseph fait son Première Communion. Il doit la faire en 1833 ; mais son père ne l’estime pas prêt et demande qu’elle soit reportée à l’année suivante. Joseph en est malade. Il tenait tant à la faire ! Malheureusement son père, sans le savoir, se prive de cette belle fête ; en effet, il meurt le 3 Avril 1833, âgé de 78 ans.

« Ma première communion me fit un effet extraordinaire. J’avais une foi instinctive, sans réflexion, sans l’idée d’une objection : j’avais surtout une imagination ardente qui me faisait tout saisir avec feu, avec enthousiasme… J’étais fou de bonheur ! »

Toutefois le régime scolaire du Petit Séminaire ne vaut rien pour Joseph et sa mère s’en attriste. « Ecolier maussade, je serais devenu un très mauvais esprit, écrit Timon-David. J’étais puni du matin jusqu’au soir, souvent battu, privé de sortie ; je m’abrutissais visiblement ». Sur les conseils du parrain de Joseph, le Marquis de Foresta, Madame Timon-David inscrit son fils au collège des Pères Jésuites de Fribourg en Suisse où le Marquis a mis ses fils pour sa plus grande satisfaction. Elle voit ainsi que va pouvoir se réaliser l’idéal d’éducation dont elle rêve pour son fils. Elle peut le faire aussi, car l’oncle Jean-Baptiste décédé depuis peu, a laissé sa fortune à la famille.

L’été 1835 fut tragique pour Marseille. Le choléra frappe cruellement Marseille. La moitié de la population fuit la ville. La mort frappe. Pour le seul 25 Juillet on enregistre 210 morts. Joseph décide de rester à Marseille pour aider son frère notaire dont le personnel s’est enfui et qui se retrouve bien seul alors que les nombreux décès lui occasionnent un gigantesque travail. Joseph va l’aider et lui faire office de coursier, allant de maison en maison porter les papiers que lui donne son frère, mettant tout de même sa vie en danger.

Au moment de quitter Marseille pour Fribourg, avec ses douze ans, le jeune Joseph a déjà une petite personnalité très affirmée, qui s’épanouit quand on le reconnaît mais qui se révolte ou perd pied devant les méthodes de violence. C’est un sensible, imaginatif, impressionnable. Il est généreux, enthousiaste, débordant d’idéal, désireux de se donner. C’est aussi un volontaire, ayant un tempérament de chef, vite en colère, fier et ne pliant ni devant la force ni devant l’injustice. Par contre point de vue scolaire il est porté à la paresse ; lui-même se reconnaît gourmand. Il est porté comme naturellement aux choses de la foi et de la religion.

C’est un enfant pauvre, riche de son héritage social et fier de son « rang » mais réduit à accepter l’aumône de son oncle, de l’évêque et les sacrifices de sa mère pour pouvoir bénéficier d’une bonne éducation. Il ne rougit pas de cette pauvreté.`

à suivre…