Épisode 6
Les premiers pas dans le ministère (Juin 1846 – 15 Septembre 1847)

À peine ordonné prêtre, il se jette comme un fou dans le ministère au risque de sa santé qui s’épuise vite. « Je n’étais pas anémique de ce temps, mais fou ». Dès le 2 Juillet il est nommé aumônier de la Société de Bienfaisance et de Charité dont son frère était administrateur : 300 jeunes, garçons et filles pour qui il célèbre la messe le dimanche, qu’il confesse et prépare à la première communion. Il gardera cette fonction 11 mois et devra cesser faute de pouvoir tout faire. Mais il va de soi qu’il est toujours auprès de l’abbé Julien et s’occupe des catéchismes de première communion et de persévérance. C’est l’application de la méthode de Saint-Sulpice mais c’est déjà l’amorce de l’œŒuvre. La journée commence par la messe, prières liturgiques, puis récitation d’un chapitre de catéchisme et leçon sur l’évangile du jour. Les enfants sont appelés à participer à noter, rédiger. Le jeu occupe un place de choix. L’après midi on part jouer dans les campagnes proches de la ville. Le Jeudi on va même à la Viste. Après un temps d’essai et de probation la possibilité est donnée à ceux qui en sont jugés dignes, de prononcer leur consécration à Notre-Dame de Persévérance. Soucieux de bien être compris dans sa mission l’abbé Timon-David écrit un règlement du catéchisme de persévérance : les deux points importants, les réunions du dimanche et la fréquentation des sacrements ! Le jeune abbé Timon-David s’efforce donc de donner la priorité à une vraie vie spirituelle ; une vie de foi. Il est un prédicateur infatigable. Les premiers mois la collaboration avec l’abbé Julien se passe bien. Mais au bout de quelques mois l’entente avec l’abbé Julien va devenir malaise, et le malaise se transformera vite en rupture.

Le Père Timon le disait bien : « l’abbé Julien était, en seul mot, mon antipode, le contraire de ce que je suis ». « Sous le rapport des mœurs et de la piété, il était un prêtre irréprochable, mais il était doué d’une imagination prodigieuse, d’un besoin d’activité inexprimable. Créer était son occupation habituelle, c’était devenu pour lui un besoin , une seconde nature… ». L’abbé Julien voit grand, entreprend beaucoup de choses à la fois, mais le sens de la gestion n’est pas son fort. Il engage de folles dépenses qui menacent l’avenir de toute son entreprise et promettent un gouffre financier. De plus leurs conceptions du ministère auprès des ouvriers diffèrent. Son ambition est d’ordre social et il laisse à Timon-David le soin de l’éducation et de l’instruction religieuse des jeunes. Il faut renflouer les caisses qui ont tendance à se vider plus vite qu’elles ne se remplissent ; alors tout est bon pour faire entrer l’argent. Les fêtes se succèdent, les concerts, les spectacles ; tout ce qui occupe et distrait mais qui empêche de prendre le temps de construire en profondeur. Pour Timon-David, c’est tout le contraire qu’il faut faire. Sa mère le prévient ; elle voir arriver le danger. « Ne fais pas de fagots que tu ne puisses porter à cause de leur grosseur, mais fais de petits faix bien liés ; on peut ainsi en porter plusieurs à la fois ». Timon-David comprend ainsi par l’expérience ce que doit être une œuvre, et ce qu’elle ne doit pas être. « C’est que j’ai appris qu’une Œuvre devait avoir horreur du bruit, de l’éclat prématuré et factice après lequel on court dès le début : qu’elle devait être d’abord peu nombreuse, qu’une discipline exacte devait la régler, qu’elle perdait en profondeur ce qu’elle gagnait en surface, qu’on devait la cacher le plus longtemps possible… »

Dès Septembre les choses se gâtent et tout va s’accélérer. Ayant dû s’absenter quelques jours à Carpentras, Timon-David à son retour trouve son catéchisme de première communion dissous, sans aucune explication ! Son frère le pousse à quitter l’abbé Julien. La situation financière est catastrophique, les dettes s’accumulent ! La tension ne peut que monter ; le jeune Timon-David a aussi son caractère. Son ancien condisciple de Saint-Sulpice, l’abbé Guiol lui conseille de quitter l’abbé Julien. « Fort expérimenté dans les Œuvres de jeunesse, élève de Monsieur Allemand, et plus tard supérieur de son Œuvre, il n’hésitait pas à me répéter souvent : vous ne ferez jamais rien dans cette œuvre, vous y perdez votre temps ».

L’abbé Guiol lui conseille de prendre pour confesseur l’abbé Brunello, Directeur de l’œuvre Allemand. « ce n’est pas Monsieur Allemand, mais c’est ce que j’ai trouvé de plus parfait après lui. » De plus l’abbé Brunello et l’abbé Guiol ont formé le projet de réformer l’Institut religieux de Monsieur Allemand composé uniquement de laïcs, excepté le directeur, en lui adjoignant des prêtres et ils veulent que Timon-David les rejoignent. La rupture avec l’abbé Julien ne peut que se précipiter. Timon-David cherche une chapelle pour abriter ses catéchismes. L’abbé Julien avertit l’évêque qui nomme Timon-David directeur de l’œuvre Saint Raphaël « colonie ouvrière de l’œuvre Allemand » ; mais le directeur en place ne veut pas partir. Le 1° Février 1847 Timon-David écrit à l’abbé Julien qu’il le quitte. Le lendemain une réponse pour le moins sèche arrive. Timon-David est à la rue avec ses jeunes. Il écrit à l’évêque qui, le 4 lui répond : « Je vous autorise, mon cher abbé Timon, à faire provisoirement le catéchisme dans la chapelle des Dames de l’Espérance. J’entends que ce catéchisme soit suivi par les mêmes enfants qui le fréquentaient, et qu’il soit fait de la manière que j’avais réglée avec le concours des séminaristes que j’ai désignés pour cela. Ne vous découragez pas pour les petites contrariétés que vous avez rencontrées. Il ne faut pas s’inquiéter pour si peu de choses. Remplissez la mission que je vous ai donnée et ayez confiance en Dieu ».

Le voici à la tête de son catéchisme. Les jeunes prieront dans la chapelle de la rue Sibié et joueront sur la Plaine saint Michel ! Pendant cinq mois il va tout tenir à bout de bras, seul face aux Frères des Ecoles chrétiennes qui, par solidarité avec l’abbé Julien vont tout faire pour boycotter son travail.

Quant à Monsieur Julien, il devait mourir de mort subite un an après laissant derrière lui des dettes énormes qui provoquèrent la disparition de toutes ses œuvres.

Joseph est entré chez les Messieurs Allemand dès le 2 février mais il ne sera novice qu’en Septembre. Les Messieurs vont le charger d’écrire la vie de Monsieur Allemand, ce qu’il n’aura pas le temps de faire. Toutefois il va avoir accès aux mémoires de Monsieur Allemand. « Pendant deux années, j’ai eu en main tous les mémoires écrits par les Messieurs de son œuvre. J’ai vécu et causé mille fois de Monsieur Allemand avec ses Messieurs, ses enfants et ses collaborateurs. Depuis le 15 Septembre 1847 jusqu’au mois de juin 1849 j’ai vécu de leur vie ».

Timon-David peine donc sur la Plaine saint Michel à faire son œuvre. Il lui faut un local …mais où, vu que celui de l’œuvre Saint Raphaël n’est pas possible. Il cherche en vain jusqu’au printemps 1847 où, partant en promenade avec les Messieurs Allemand dans leur maison de campagne à Saint Just, il passe par la traverse Chape. « Un portail était entr’ ouvert. Que vois-je ? Un magnifique local bordé d’oliviers, avec une petite maisonnette et une grande salle d’auberge à côté. Le terrain tout vert de l’herbe des champs était émaillé de coquelicots ; vraiment, c’était le plus admirable local qu’on puisse désirer pour une œuvre… ». Malheureusement il fallait de l’argent…. Et il n’y en avait pas ! Mais de nouveau le surmenage et la fatigue prennent le dessus. Epuisé, Joseph dépérit à vue d’œil. Il faut qu’il parte se refaire une santé … et on lui parle de Fribourg ! Fin Juin, il donne vacance à ses jeunes et part pour la Suisse où, tout en se reposant, il fait retraite et se fixe définitivement dans sa vocation de Père de Jeunesse au service des jeunes ouvriers.

Quand il rentre à Marseille le 2 Août il n’y a plus aucune trace de ses deux catéchismes.

Période difficile ! Mais le 15 septembre il reçoit à la Viste une lettre de Monsieur Brunello qui lui apprend que l’affaire du terrain de la rue Chape est heureusement terminée ; le bail des Boulomanes est résilié ; l’acte de vente va se dresser ; impossible maintenant de reculer et il attendu le lendemain pour passer avec les Messieurs la journée à la campagne !

« Le local Rougier acheté .. je fus immédiatement reçu novice de l’Institut de M. Allemand ».

à suivre…