Épisode 7
Les débuts de l’œŒuvre de la jeunesse ouvrière (1847-1849)

Enfin le local tant désiré, celui du champ de coquelicots entrevu depuis la traverse Chape est acquis. L’œuvre va pouvoir s’y installer, l’œuvre va pouvoir naître et grandir.

Pendant la dernière semaine de Septembre 1847 la grande salle d’auberge est transformée en chapelle. La date de l’inauguration est fixée au 31 Octobre 1847. Mais avant de commencer définitivement cette Œuvre, le Père Timon veut la mettre sous la protection de la Très Sainte Vierge. « Je fis faire, en argent, la clef de notre maison, et le samedi, 30 Octobre, je la déposais, pendant que je disais la Sainte Messe, sur l’autel de Notre Dame de la Garde, conjurant la Bonne-Mère de vouloir garder cette nouvelle fondation. »

Le Dimanche 31, dans la soirée, la chapelle et le local sont bénis par Monsieur Tempier, vicaire général du diocèse de Marseille. Enfin le « le lendemain matin, 1° Novembre 1847, fête de tous les Saints, je célébrai, pour la première fois, la sainte Messe dans notre Œuvre, en présence de 36 enfants, débris de mes précédentes associations. J’ai voulu, écrit le Père Timon en 1878, vous conserver leurs noms ; ils furent les premières pierres de cet édifice…. C’est de ce jour, 1° Novembre 1847 que date la véritable fondation de notre Œuvre. Nous considérons les vingt mois précédents comme un noviciat pendant nous avons constamment changé de local et de forme….. Quand bien même, ce qu’à Dieu ne plaise, notre Œuvre ne devrait pas exister davantage, quelle reconnaissance envers le Cœur de Notre Seigneur, qui pendant 31 ans a ouvert cet asile à la jeunesse ouvrière de Marseille, jusque là si délaissée ! ».

Mais revenons aux premiers jours de l’œuvre !

« Il ne suffisait pas d’avoir un magnifique local, il fallait encore des aides et des finances. Quelle reconnaissance ne devons-nous pas aux Directeurs de l’œuvre de Monsieur Allemand ? » écrit le Père dans le récit des Annales.

Aidé financièrement par les Messieurs Allemand, le jeune directeur peut dire « en un mot notre Œuvre marchait, en très petit, comme l’œuvre de la rue Saint-Savournin, et sur les mêmes bases. Je n’avais donc aucun souci pour le côté matériel ».

Il lui faut des aides, les Messieurs Allemand vont les lui fournir pour l’aider à commencer cette Œuvre. « Il fallait des aides. L’œuvre de Monsieur Allemand les fournit encore. J’étais fort jeune, 24 ans, je n’avais point d’expérience, il fallait m’instruire de la méthode de ce saint fondateur, afin d’obtenir, par les mêmes moyens , les mêmes résultats ».

Il commence donc, avec l’aide pédagogique de deux Messieurs Allemand ; cette aide, cette collaboration durera jusqu’en 1855. C’est une « Œuvre de Jeunesse » pour la jeunesse ouvrière que le jeune abbé Timon-David ouvre. « Nous appelons « Œuvre de Jeunesse » une congrégation pieuse d’enfants et de jeunes gens appartenant aux classes laborieuses de la société qui, dans leurs moments de loisirs, se rassemblent pour se livrer à des jeux innocents et sanctifier leur âme par les pratiques de la piété chrétienne. ‘Jouer et prier’, c’est tout l’œuvre telle que le vénérable Monsieur Allemand l’a conçue » écrit Timon-David en 1859 au début de la Méthode de direction des Œuvres.

Il s’inscrit donc dans une tradition éducative et pédagogique implantée à Marseille. Dans son ‘testament pastoral’ rédigé six semaines avant sa mort le Père Timon évoque cette filiation dans laquelle il s’inscrit.

« Après la grande peste qui ravagea Marseille au début du XVIII° siècle ( 1720) quelques prêtres se réunirent, en 1729,sous l’autorité de l’évêque, Mgr de Belzunce. Ils s’appelèrent les ‘Prêtres du Sacré-Cœur’ ou ‘du Bon Pasteur’… Parmi toutes leurs bonnes œuvres, la plus célèbre fut la Congrégation du Saint-Enfant Jésus qui se réunissait dans leur maison, rue du Bon Pasteur en dehors de la Porte d’Aix ». Les jeunes gens des classes moyennes et inférieures venaient s’y amuser. « Nombreux sont les jeunes qui venaient jouer et prier dans cette maison, sous les yeux et sous la conduite des pieux prêtres du sacré-Cœur ».

Malheureusement la Révolution Française détruit tout ; certains prêtres du sacré-Cœœur y perdront la vie.

« L’abbé Jean-Joseph Allemand, continue le Père Timon, avait été élevé par les prêtres du Sacré-Cœœur ; il avait fait partie de leur œuvre de jeunesse… Ressusciter l’œuvre de sa jeunesse, recommencer pour les autres le bien qu’il en avait reçue, devint pour lui une idée arrêtée qu’il poursuivit avec toute l’énergie d’un caractère fortement trempé par les épreuves de la Révolution. Le 3° dimanche de Mai 1799, il commença à réunir en secret quelques jeunes gens, quatre dit-on, qui formèrent bientôt une Œuvre considérable, avec le même titre de Congrégation du Saint-Enfant Jésus et le même règlement que celle des prêtres du Bon Pasteur… Avec cette méthode, Monsieur Allemand gouverna sa maison pendant 36 ans. Il mourut le 10 Avril 1836 laissant un impérissable souvenir dans le cœur de ses enfants et son Œuvre fondée sur le véritable esprit de l’Evangile subsiste depuis 92 ans ( 1799-1891)… »

Depuis le 2 février 1847, Timon-David était entré dans la communauté des Messieurs Allemand comme novice. Depuis la mort de son fondateur l’œuvre de Monsieur Allemand était dirigée par une communauté de laïcs issus de son rang, les « Messieurs ». L’abbé Brunello voulait refondre l’œuvre en lui donnant une forme mixte, laïque et sacerdotale à la fois, et l’ouvrir aux classes populaires. Il comptait bien sur l’abbé Timon-David pour réaliser ses projets. L’ouverture de l’œŒuvre de la Rue d’Oran donnant sur la rue Chape avec le soutien financier et logistique de la part de la communauté des Messieurs Allemand entrait dans ses projets, projets qui, au dire du Père Timon, n’enthousiasmaient pas particulièrement la trentaine de membres laïcs de la communauté. Timon-David, avec d’autres, fera vœu pour 3 ans de vivre dans la communauté nouvelle. Il partage ses journées entre son Œuvre de la rue d’Oran, la maison de Monsieur Brunello et le foyer de Monsieur Allemand où par la lecture et la fréquentation des fils spirituels de Monsieur Allemand il s’imprègne de la méthode et de l’esprit du fondateur afin de « lui assimiler mon œuvre ».

Mais assez rapidement l’entente ne sera plus aussi belle. Le jeune père de jeunesse est de plus en plus convaincu qu’ « il faut que le prêtre soit à la tête » si on veut donner une réelle dimension spirituelle à l’apostolat auprès des jeunes. Le torchon brûle entre Monsieur Brunello et Timon-David…. Tout cela conduira à une rupture définitive en 1849, même si des Messieurs continueront à l’aider jusqu’en 1855.

Le 24 novembre 1849,avec le soutien de Monseigneur de Mazenod, Timon-David passe avec les Messieurs Allemand une convention. Il garde le local de la rue d’Oran mais sans garantie pour l’avenir. Il est libre de ses mouvements, mais il est congédiable à tout moment, avec six mois de préavis seulement, sans revenus et ayant la charge de toutes les dépenses de l’oeuvre. La liberté a un prix ! Toutefois les difficultés qu’il a eu avec certains Messieurs, ne l’empêche pas de rester fidèle à l’esprit et à la Méthode de Monsieur Allemand dont il se fera, plus tard le propagateur à travers ses écrits et la présentation de sa Méthode qui sera, inévitablement, marquée de sa propre personnalité et des adaptations indispensables, dues tant au milieu touché qu’aux évènements de la vie de la société et de l’Eglise. L’œuvre pendant ce temps-là a commencé à grandir, à pousser, à prendre forme, à se structurer.

Le 29 Octobre 1848, un an après l’ouverture il y avait 129 présents. Dès la première année, dans la ligne de Monsieur Allemand, il y a des congréganistes, des associations, des charges. Va apparaître aussi la première Compagnie, élément important pour l’animation de la vie de l’œuvre. Mais très vite va apparaître la touche personnelle de Joseph-Marie Timon-David : l’importance donnée à la liturgie et à la qualité et au sérieux de la vie liturgique.

Ce qui est notable est l’importance donnée à la dévotion au Sacré-Cœœur de Jésus. L’Œœuvre est dès le début l’œuvre du Sacré-Cœœur.

Cette dévotion était connue du jeune Timon. Marseille, depuis la consécration de la Ville par Mgr de Belzunce au Sacré-Cœur, à cause de la grande peste, était la Ville du Sacré-Cœœur. La famille Timon David était alliée à la famille de la vénérable Sœur Rémuzat, la Marguerite-Marie marseillaise, qui avait poussé Mgr de Bezunce à consacrer Marseille au Sacré-Cœœur, ce qui fera écrire plus tard à Joseph qu’il « a sucé avec le lait » cette dévotion. A Fribourg le Père Jeantier et les jésuites ont dû l’aider à grandir dans cette dévotion.

Mais c’est avec les Messieurs Allemand, dans la ligne des Prêtres du sacré-Cœœur, qu’elle va grandir et prendre forme. Un événement capital va ancrer Timon-David dans cette dévotion, dans cet amour au Cœœur de Jésus : au mois de Septembre 1849 le choléra frappe Marseille. Ecoutons-le raconter quelques années après : « En 1849, vers le mois de Septembre, le choléra éclate à Marseille pour la 4° fois. Il fut terrible et par son intensité et par sa longue durée car sur une population de 145 000 âmes seulement , il mourut 2211 personnes. Vous n’avez jamais été très courageux face à ce fléau. Notre contrôle qui accusait 121 présents le dernier dimanche d’août, tombe à 67 le dernier dimanche de Septembre. Seulement vous n’étiez pas bien loin ; presque tous vous aviez des bastidons ou des cabanons peu éloignés de Marseille ; ce fut votre salut, en vous laissant la possibilité d’accomplir votre promesse.

A la vue de cette terreur, nous réunîmes tous nos congréganistes et nous leur assurâmes que pas un ne serait atteint par la maladie et même ne perdrait aucun de ses proches parents, s’ils voulaient promettre au Sacré-Cœur d’assister pendant tout une année avec exactitude à l’exercice du premier vendredi du mois. Nous nous appuyâmes sur les propres paroles de Notre Seigneur à la Vénérable Marguerite-Marie à Paray-le-Monial : ‘je serai leur refuge assuré pendant leur vie… Les personnes qui propageront ma dévotion auront leur nom inscrit dans mon Cœœur… Je répandrai sur eux d’abondantes bénédictions… » Tous les congréganistes signèrent cet engagement avec enthousiasme… Dieu bénit leur confiance et quand le fléau eut disparu nous nous comptâmes ; pas un ne manquait à l’appel, pas un n’était en deuil.. ». Le Sacré-Cœœur avait protégé l’œuvre qui sera toujours sous sa protection.

Durant ces premiers pas, cette période d’apprentissage, Timon-David sera conforté, peu de mois après l’ouverture de l’Oeuvre dans sa mission spécifique auprès des jeunes ouvriers : en février 1848 la Révolution éclate, celle que les livres d’histoire appelle, la Révolution de 48. Le jeune Père Timon-David découvre la nécessité et l’urgence d’éduquer et d’évangéliser cette partie majoritaire de la population dont la puissance ne fait que croître.

Il découvre aussi la nécessité d’adapter la Méthode Allemand tout en lui restant fidèle, car si la Méthode de Monsieur Allemand convenait pour le milieu qu’il voulait toucher, les enfants des hautes classes sociales, le chantier qui s’ouvrait pour l’éducation des jeunes ouvriers était tout nouveau et immense.

à suivre…